Le Village Emmaüs Lescar Pau et La Ferme Légère : « Changeons le système, pas le climat ! »
- Justine Fleur
- 14 avr. 2022
- 9 min de lecture
Aujourd'hui, on vous présente deux lieux qu'il nous tenait à cœur de découvrir tant on en avait entendu parler depuis le début de notre tour de France des initiatives alternatives. Petit détour donc par le Béarn pour vous parler de ces deux incontournables !
Le village Emmaüs Lescar Pau : Soyons réalistes, construisons l'utopie
« Lorsqu’il arrive dans la communauté, le compagnon est invité à poser son baluchon, à prendre un café, à partager le repas et à passer une nuit reconstituante. On ne lui demande rien sur son passé.» L’Abbé Pierre. Créé en 1982, le village Emmaüs Lescar Pau est un lieu alternatif emblématique dans ses dimensions sociale, économique et maintenant écologique. Si le démarrage du projet était résolument social, par l'accueil des personnes en situation de précarité, la création de la recyclerie a fait grandir les deux autres volets tout en accordant une indépendance financière aux personnes vivant sur place. La personnalité de l'Abbé Pierre, disparu en 2007, a laissé sa marque indélébile sur ce lieu chargé d'histoire.
Initialement agencé autour de bâtiments industriels et agricoles retapés et de mobil-homes, le village s'est lancé depuis 2008 dans l'éco-construction avec des chalets que les compagnons participent à bâtir. Le lieu est aujourd'hui structuré autour d'une déchetterie/recyclerie ouverte 7j/7 dont l'objectif est de recycler 80% des objets donnés, et du « Bric à brac » qui s'étend dans un bâtiment de 4000 m² et une esplanade de 1500 m², espace où sont revendus à tout petit prix les articles réparés et/ou donnés par les particuliers. Il faut avoir la patience et l'âme d'un.e fouineur.euse pour dénicher la perle rare dans l'amoncellement d'objets / vêtements / machines présenté.e.s, mais les bonnes affaires sont partout ! Depuis quelques années, le village s'est aussi doté d'un restaurant, La Pachamama, d'un bar, l'Alternatiba'R, d'une épicerie, d'une crêperie, d'un marché local et bio ainsi que de chambres d'apithérapie (pour se relaxer allongé.e sur des ruches), devenant un lieu d'accueil riche, divers et convivial.
En 2010, grâce à 4ha de terrain donnés par la mairie, le village développe son autonomie alimentaire et se dote d'une ferme. L'occasion d'ajouter une visée pédagogique au lieu en proposant aux petit.e.s comme au grand.e.s de déambuler parmi les animaux et les plantations, avec de multiples explications qui sont autant de sensibilisation à la démarche écologique du Village.
Le Village Emmaüs est devenu un incontournable de la région de Pau, le week-end nombreux.ses sont celleux qui viennent visiter, déambuler, chiner des meubles, de la vaisselle ou des vêtements, faire quelques courses à l'épicerie locale ou simplement manger une crêpe. Les influences du village sont diverses, variées, multiples, comme en témoignent les visages dessinés qui jalonnent l'entrée.
Ici on le sent, rien ne se perd, tout se répare, tout et tout le monde a le droit à une seconde vie. Rien n'est vraiment uniforme et un charme sans pareil se dégage des couleurs et des formes qui se côtoient parfois avec inventivité, parfois de manière plus incongrue. Le village est une ode à la récup' mais surtout au vivre ensemble : ici environ cent vingt personnes font communauté, se côtoient, s'entraident et travaillent (sous divers statuts : compagnons, salariés, stagiaires, bénévoles ou simples visiteur.euses). Un endroit de joie simple où nous avons apprécié déambuler et flâner avec curiosité. Un endroit qui incarne et concrétise surtout ce message inspirant : on peut tou.te.s, à notre échelle, « oser risquer l'utopie avec et pour l'Humain » !
Pour en savoir plus : https://www.emmaus-lescar-pau.net/
La Ferme Légère : un écolieu jusqu'au-boutiste
La Ferme Légère, c'était l'un des lieux qui nous avait le plus marqué quand on avait préparé notre tour de France. Se présentant comme un écolieu d' « expérimentations d'alternatives écologiques, sociales et collectives », c'était en effet un de ceux qui apparaissait comme le plus radical dans sa recherche d'autosuffisance et d'autonomie. En septembre, nous avions prévu d'y passer trois semaines en wwofing avant que le Village Démocratique de Pourgues ne nous retienne finalement plus longtemps. On a voulu y retourner plusieurs fois, d'autant plus que plusieurs personnes croisées sur notre route ont évoqué ce lieu comme un incontournable, mais à chaque fois, cela ne collait pas. On a donc sauté sur l'occasion d'une journée découverte pour pouvoir, si ce n'est réellement expérimenter, au moins approcher la vie à La Ferme Légère.

Un écolieu en chemin vers l'autosuffisance

Et d'abord, on commence par vous poser une petite énigme : à votre avis, pourquoi ce nom de Ferme « Légère » ? La réponse arrive dans quelques instants, mais voici quelques indices : si on vous dit que cet écolieu collectif rural est autonome en eau grâce à l'eau de pluie récoltée et l'eau du puits du jardin ; en électricité grâce à des panneaux solaires thermiques (pour chauffer l'eau) et photovoltaïques (pour tout le reste) ; qu'il a été rénové avec quasiment exclusivement des matériaux naturels (bois) et de récupération ; qu'on s'y chauffe et y cuisine principalement avec un poêle de masse ; que les légumes sont conservés dans une « cave » spécialement conçue à cet effet plutôt qu'au frigo ; et que ce sont les chèvres du lieu qui se chargent de tondre la pelouse, ça vous donne une petite idée ? Vous l'avez peut-être deviné, la Ferme Légère cherche un mode de vie avec l'empreinte écologique la plus légère possible, aussi bien en terme d'émission de CO2 qu'en terme de consommation d'énergie. Aujourd'hui, les résident.e.s utilisent environ 0,6 kW/jour, contre entre 3 et 10 kW/jour pour un.e Français.e moyen.ne.
Pour arriver à cette baisse drastique, le lieu privilégie le low tech (mot à mot « basse technologie », ce terme désigne l'ensemble des technologies simples, peu coûteuses, peu énergivores, accessibles à tou.te.s et réparables) pour habiter, se chauffer, cuisiner, se doucher... en un mot, pour toutes les actions quotidiennes. Le lieu est ainsi désormais totalement autonome en eau et en électricité grâce à tous les outils utilisés, et il tend à l'autosuffisance alimentaire avec le développement de son jardin qui s'inspire de la permaculture. Cependant, cette indépendance a une conséquence non négligeable : celui de devoir repenser sa consommation d'une manière beaucoup plus sobre. Car quand on produit sa propre énergie, on se rend soudainement bien compte qu'elle n'est pas inépuisable ! Ainsi, en plus d'être un lieu d'expérimentations (on y teste par exemple en ce moment la pertinence d'y installer une éolienne), la Ferme Légère invite surtout à un changement de paradigme très important : on ne consomme plus l'énergie en fonction de ses besoins, mais on adapte ses besoins à la production d'énergie.
Les panneaux solaires, le bassin de récupération d'eau de pluie et le potager
Un boîtier contrôle la production quotidienne d'énergie en fonction de la météo et de la charge de la batterie, et définit quels usages pourront être faits dans la journée. Concrètement, cela veut dire qu'on utilise très peu les appareils électriques (type bouilloire, plaque électrique...) car ils sont extrêmement énergivores, hormis en cas d'excédent d'énergie, les jours très ensoleillés ; qu'on ne passe pas trois heures sous la douche car chauffer l'eau a un coût énergétique ; que le mode de cuisson des aliments change en fonction de la météo (boisinière et poêle de masse pour les jours de mauvais temps, four solaire pour les jours de soleil été comme hiver, cocotte norvégienne* pour tenir au chaud... Il existe 7 modes de cuisson différents dans la maison en fonction de la météo !). Cela demande indéniablement une certaine organisation (penser à bien laisser de l'eau chaude dans la cocotte norvégienne le soir si on veut en avoir au petit déjeuner par exemple) et une bonne résilience, notamment les cinq jours dans l'année où la production d'énergie est trop basse pour s'éclairer le soir. Vive alors les bougies ! Les habitant.e.s ne partagent également qu'une seule voiture pour l'ensemble du collectif et se déplacent prioritairement à vélo pour être cohérent.e.s dans leur démarche. Même leur site internet a été crée sur un site internet basse consommation.;)
*cocotte norvégienne = un caisson rempli d'isolant thermique dans lequel on peut placer les plats et récipients pour qu'ils soient conservés au chaud et terminer des cuissons mijotées.
Historique et mode de gouvernance

La Ferme Légère est un projet qui date de 2012. A ce moment-là, un groupe de copains cherche un lieu avec l'ambition de créer un écolieu, et c'est finalement cette petite maison béarnaise classique et ses 11 ha de prairie et bois qui retiennent leur attention en 2015 et qui sont achetés en SCI. L'association La Ferme Légère est créée parallèlement pour louer les locaux. La maison est immédiatement réhabilitée selon les principes de l'éco-construction (voir article sur Echovert) afin qu'elle soit plus grande et bioclimatique. Cependant, suite à des divergences de point de vue, sur les sept habitant.e.s initiaux.ales, il n'en reste plus que trois en 2017. Dane, de Sainte-Camelle, dirait sûrement qu'ils/elles ont manqué d'une vision commune solide !;)

Mais la Ferme Légère ne se laisse pas abattre et de nouveaux.elles habitant.e.s viennent réinvestir le lieu : ils/elles sont maintenant 5 résident.e.s, dont l'un est un migrant accueilli par le lieu. Elle revoie aussi son modèle de gouvernance, aidée par l'Université du Nous, une organisation citoyenne qui a pour vocation d'accompagner les individu.e.s et collectifs à vivre-ensemble pour une transition sociétale réussie. Aujourd'hui, la Ferme Légère fonctionne donc en gouvernance partagée et les décisions sont prises par consentement lors de la réunion hebdomadaire (pour ce modèle de gouvernance, voir notre article sur L'Aerium), chaque habitant.e étant référent.e de certains pôles particuliers (jardin, communication...). Ils/elles prennent le parti de discuter chaque solution, de tester, d'améliorer, dans une vraie démarche d'ouverture et d'expérimentation. Le collectif bénéficie aussi des apports de la CNV (Communication non Violente) et toutes les trois semaines, la réunion « EMO » (pour réunion émotionnelle) permet de partager dans un cadre de sécurité les éventuelles tensions accumulées pour les dénouer. Enfin, de petites réunions ponctuelles sur des thèmes particuliers peuvent être organisées.
Vie quotidienne

Pour l'organisation de la vie collectif, un tableau des tâches est rempli chaque soir pour le lendemain pour les chantiers à réaliser, et un autre est rempli chaque semaine pour l'organisation des tours de cuisine ; en effet, à la Ferme Légère, un binôme cuisine pour tou.te.s, les habitant.e.s qui partagent tous leur repas dans une visée communautaire. Les résident.e.s partagent d'ailleurs la maison commune, seules leur chambre (qu'ils/elles louent) est individuelle. Une caisse commune permet les achats alimentaires.
Quant au terrain, ils/elles le partagent avec de nombreux animaux qui font totalement partie de l'écosystème du lieu : les chèvres tondent la pelouse et mangent les ronces invasives, les poules produisent des œufs et mangent une partie de ce que nous appelons « déchets » alimentaires (qui ne le sont manifestement pas pour elles!), les canards coureurs indiens mangent les limaces du potager... En effet, dans un mode de vie plus sobre, les animaux deviennent de véritables alliés. Une belle façon de repenser notre rapport au monde animal, de sortir du modèle d'exploitation / consommation pour un modèle d'alliance / entraide. Les habitant.e.s de la Ferme Légère consomment, elleux, très peu de produits animaux (viande, beurre, fromage, yaourts...) car ils font partie des plus polluants. Quand ils/elles s'octroient ce plaisir, ils/elles consomment surtout les produits des producteurs.rices alentour, par exemple le lait des productrices laitières voisines, dans une démarche de soutien du réseau local.

Enfin, vivre à la Ferme Légère, c'est indéniablement accepter un mode de vie assez intense et physique, environ 25h/semaine passées principalement dehors à s'occuper des animaux, du jardin, des différents chantiers, « un mode de vie paysan soutenu » pour citer l'un des habitants. Car on ne peut repenser un mode de vie plus sobre et écologique sans repenser la notion de travail. Récemment, la Ferme Légère a aussi beaucoup développé son activité d'accueil pour proposer des stages autour de l'autonomie, de l'éco-construction, du « travail qui relie » (basé sur le livre de Joanna Macy, Ecopsychologie pratique et rituels pour la terre que je vous avais recommandé), etc. Un bon moyen d'essaimer leurs idées et pratiques !
Affiches réalisées main par le collectif avec une encre 100% naturelle
faite à partir de légumes
Si ce mode de vie nous paraît un peu drastique et que nous ne sommes pas (encore) prêt.e.s à aller aussi loin dans notre démarche, indéniablement, la Ferme Légère est un lieu hautement inspirant ! Un beau modèle de ce que peut être une vie autonome, résiliente, communautaire... et légère ! Car, loin de la vision parfois austère et accablante qu'on peut imaginer dans des lieux très écologiques et décroissants, inspiré par la collapsologie (approche pluridisciplinaire qui théorise la notion d'effondrement de notre civilisation, de l'anglais « to collapse » = s'effondrer), la vie à la Ferme Légère nous a au contraire semblé paisible et joyeuse. Face à l'urgence écologique à venir, une belle leçon de légèreté !
Pour en savoir plus :
A lire : Comment tout peut s'effondrer, Petit manuel de collapsologie à l'attention des générations présentes, Pablo Servigne et Raphaël Stevens, 2015, un livre qui nous a vraiment fait changer de regard sur l'écologie et ses enjeux pour aujourd'hui et demain.
A écouter : notre podcast coup de cœur, le témoignage hautement poétique de Clément Osé, un ancien habitant de la Ferme Légère, sur ce que cela représente concrètement d'aller vivre en écolieu, entre grandes joies, doutes et questionnements existentiels : http://www.clementose.art/un-aller-pour-la-terre/audio/
Du sweet et du croc sur vous,
Justine et Baptiste
Petite devinette pour finir : à votre avis, quel légume a servi pour faire cette éponge 100% naturelle ? Réponse sous la photo ! ;)

Réponse : Une courge ! Fascinant non ?!
Comments