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Le CLE d'Hérouville : un collège-lycée expérimental historique


Un collège-lycée historique

Le Collège-Lycée Expérimental d'Hérouville-Saint-Clair, en Normandie, a été créé en 1982, avec quatre autres collèges-lycées expérimentaux (dont le Lycée autogéré de Paris, et le lycée expérimental de Saint-Nazaire), par un groupe de professeur.e.s bien décidé.e.s à expérimenter et enseigner autrement, héritiers.ières des théories et pratiques d'autogestion qui se sont développées dans les années 60-70.

De ces quatre établissements publics co-créés, le CLE est aujourd'hui le plus gros, avec 350 élèves et 8 classes de collège. Une partie des élèves vient de l'école Freinet ; l'autre est un savant mélange d'hétérogénéité entre les élèves du secteur ayant un attrait pour une pédagogie différente, des décrocheurs.euses en quête d'un nouveau souffle, et des élèves attiré.e.s par certaines options proposées dans l'établissement, comme l'option cinéma. Une première sélection sur dossier et entretien est faite ; la sélection finale se fait ensuite par une commission indépendante, c'est-à-dire un ensemble de professeur.e.s n'ayant pas participé à cette première phase.

Du haut de ses 40 ans d'existence, il est donc représentatif des établissements alternatifs historiques, et fait partie de la liste VIP très restreinte des treize établissements de France considérés comme « Changemaker School » (école du changement, pour la traduction)*. C'est donc avec une grande joie que mi-juin, à la quasi-veille des premières épreuves du baccalauréat, j'ai repris de nouveau les chemins de l'école.


* Les « Changemaker Schools » sont un ensemble d'établissements, publics et privés, sélectionnés dans le monde par l'association à but non lucratif Ashoka, pour leurs pratiques innovantes.


Autorité « par le bas », autogestion et expérimentation

Le CLE ayant été co-créé et co-géré par un ensemble d'enseignant.e.s, dès sa création, le pouvoir souverain de l'équipe enseignante a été affirmé : ce sont elleux les « maîtres.esses du lieu ». En effet, il n'y a pas de chef.fe d'établissement désigné.e par le rectorat ! La fonction, ainsi que celle d'adjoint.e, est remplie à tour de rôle par l'un.e des enseignant.e.s qui se propose de prendre les responsabilités et les missions dévolues à ce rôle pour un an.


Cela évite donc les rapports d'autorité abusifs, puisque de fait, le/la chef.fe d'établissement est le/la collègue de l'équipe enseignante. Cela permet aussi de se rappeler (ce qu'on oublie trop souvent à mon sens quand on est face à un.e chef.fe d'établissement) qu'on peut se parler de « personne à personne », et non de « subalterne à chef.fe », puisque « la fonction ne se résume qu'à l'ensemble des responsabilités que nous avons acceptées et qu'elle n'est pas un substitut de l'identité » (citation lue récemment dans S'épanouir à l'école, de Caroline Sost).

Les réunions d'équipe du mardi soir (3h) permettent d'autant plus cette horizontalité: ce temps de concertation et d'échange sur des sujets aussi variés que le budget, la pédagogie, les moments festifs au sein de l'école, les sorties scolaires (des sortes de Conseil d'Administration hebdomadaires, en somme) permet une totale transparence et à chacun.e de donner sa voix, puisque les décisions sont prises par vote.

Le recrutement se fait aussi par l'équipe enseignante via un vote ; il n'y a donc pas de mouvement, c'est un recrutement de « poste à profil », même s'il faut faire partie de l'académie de Normandie pour pouvoir y postuler. De plus, il n'y a pas d'obligation de suivi strict des programmes, même si les compétences de l'Education Nationale sont travaillées. Les enseignements et les méthodes expérimentales se choisissent en co-construction avec les élèves et les parents, même si in fine, se sont les professeur.e.s qui les votent (on reconnaît ainsi leur professionalité en la matière, ce qui est malheureusement si peu le cas dans notre société...). Un dispositif alternatif est créé et expérimenté environ tous les 4 ans au sein de l'établissement.

Enfin, l'autogestion suppose aussi que les professeur.e.s soient multifonction : en plus de la charge possible de chef.fe d'établissement (et toutes autres charges de coordination), ils/elles enseignent souvent à la fois au collège et au lycée, généralement dans deux matières (comme dans les lycées professionnels), sans compter les ateliers qu'ils/elles proposent (j'y reviendrai). Dans le temps de service des enseignant.e.s est compris également la surveillance des couloirs, et un service de restauration par semaine à faire avec ses tutoré.e.s : c'est un moment dans la semaine où le/la tuteur.rice fait le service de cantine avec les élèves qu'il/elle a en tutorat. Cela permet à la fois de responsabiliser les adolescent.e.s, à la fois de connaître les élèves dans d'autres milieux, d'autres situations que la salle de classe.


L'expérimentation : un brassage fécond

Contrairement à certains établissements que j'ai pu visiter cette année, le CLE ne se réclame pas d'une pédagogie particulière. Elle est plutôt l'amalgame de différentes inspirations, cherchant à favoriser un meilleur enseignement pour les élèves. Ainsi, le choix des enseignements, et surtout la manière de les transmettre, sont sans cesse questionnés, pour innover. On retrouve tout de même dans les grandes lignes la pégagogie de projet, l'autonomisation des élèves, la confiance et la collaboration comme piliers de l'expérimentation.




Aujourd'hui, les emplois du temps des collégien.ne.s se divisent comme suit :


> Les EM , « enseignements massés », obligatoires, qui correspondent peu ou prou à des heures d'enseignements « traditionnels » qui se déroulent en classe entière de même niveau, avec des grands thèmes qui peuvent reprendre le programme classique.


> Les TDD , Temps de Décloisonnement disciplinaire, où un thème, en prolongement des EM, est décliné et travaillé par le prisme de deux disciplines (ou plus), en co-enseignement.

Dans les TDD, les élèves de plusieurs classes de même niveau sont regroupé.e.s. L'enseignement peut ensuite se faire en groupe entier en co-enseignement avec les deux professeur.e.s, soit en demi-groupe de travail. Par exemple, pour le TDD auquel j'ai pu assister : « Autour du XIXème siècle : la Révolution industrielle » qui réunissait les domaines de l'histoire-géographie et du français pour les élèves de niveau 4ème, un groupe travaillait avec la professeure d'histoire-géo sur le contexte de l'essor de la Révolution industrielle à travers l'étude de documents et de la scène d'ouverture de l'adaptation de Germinal par Claude Berri ; pendant que l'autre moitié travaillait avec la professeure de français sur l'incipit du même roman. Les groupes interchangeraient la semaine suivante, avant d'être réunis de nouveau en classe entière.

Les TDD ne sont pas optionnels et au choix, ce sont des parcours obligatoires à suivre, qui permettent d'approfondir les savoirs disciplinaires (EM) du programme. Je trouve personnellement que c'est un vrai plus, car un.e élève peut avoir un.e professeur.e dans une matière pour les cours en EM, et un.e autre dans la même matière pour les TDD. Cela permet à l'élève d'avoir la même année, pour un même thème, différents approches et différentes manières d'expliquer, ce qui me semble essentiel pour la compréhension et l'intégration des connaissances. Sans compter que du point de vue enseignant, apprendre à travailler ensemble, en co-enseignement, ne peut qu'être enrichissant !

Contrairement aux ateliers, les EM et les TDD sont périodiques.

> les Ateliers : chaque trimestre, l'élève fait trois choix parmi les différents ateliers proposés pour en suivre un sur le trimestre.

Les ateliers n'ont pas pour visée directe de prolonger les enseignements vus en EM et TDD, même si certaines notions vues peuvent servir. Ce sont plutôt des moments visant à permettre aux élèves d'élargir leurs compétences et leurs intérêts en dehors des enseignements purement scolaire. Ainsi, on peut trouver des ateliers aussi variés que : s'initier aux métiers de la défense ; constructions géométriques ; création d'un stop-motion ; atelier radio ; construis ton jeu... Chaque atelier a son objectif propre et concret : créer une exposition, faire une émission de radio, etc.

Dans les ateliers, les élèves sont reparti.e.s en demi-groupe regroupant des niveaux de classe différents allant de la 6ème à la 4ème.

Un.e élève peut choisir de suivre pendant l'année trois ateliers tournant autour des mêmes domaines (mathématiques, arts plastiques ; etc.), même si son/sa tuteur.rice peut l'inciter à choisir un atelier en rapport avec un autre domaine. Les incitations ne sont cependant jamais des obligations.

Atelier "Construis ton jeu"


> les Modules : certaines matières, comme la physique, l'anglais, les mathématiques, le français, et l'histoire-géographie sont réparties en modules de compétences, par exemple : « Analyser et comprendre un document », avec différents niveaux de difficulté. L'élève choisit le module qu'il/elle veut suivre en fonction de son niveau, avec son/sa tuteur.rice. Ce sont donc des cours axés sur la méthodologie.


> l'AT, ou « aide au travail » , qui est un socle fondateur du CLE, présente dès le début de sa création : en classe entière, un temps dans la semaine est assuré par un.e professeur.e de la classe, pour apprendre aux élèves à s'organiser dans leur travail, à prioriser, et les accompagner dans les devoirs. Une sorte d' « aide aux devoirs » obligatoire, qui permet vraiment aux élèves de prendre le temps de faire leurs devoirs dans de bonnes conditions (ce qui n'est pas toujours le cas de tou.te.s nos élèves...) et d'apprendre à apprendre ! Les élèves qui ont déjà fait leur travail en amont, et/ou qui sont plus rapides, peuvent en aider d'autres en binôme.


A cela s'ajoute aussi le tutorat : chaque enseignant.e accompagne dans ses apprentissages durant un an un certain nombre de tutoré.e.s (l 'équivalent d'une demi-classe). Souvent, d'une année à l'autre, le/la tuteur.rice change de niveau, ce qui permet de mieux connaître les attentes et les besoins des élèves. Par exemple, tutorer des secondes permet de mieux se rendre compte des besoins des 3èmes. A noter que le/la tuteur.rice n'a pas forcément comme tutoré.e les élèves auxquels il/elle enseigne, ce qui permet d'avoir un autre regard sur l'élève, et un autre rapport à celui / celle-ci.

Il y aussi une 3ème « IPO » (Individualisation des parcours et des orientations ) pour les élèves destiné.e.s à la voie professionnelle, une sorte de prépa-pro qui permet d'accompagner d'avantage ces élèves.


Enfin, on peut noter que, pour respecter le rythme cognitif des élèves, il n'y a pas de cours à proprement parler après 14h, seulement des ateliers ou de l'AT. Les cours sont même optionnels après 14h pour les lycéen.ne.s. Tous les cours sont organisés par tranche d'une heure trente, ce qui favorise la dynamique de projet.



Club élevage de "blob" autogéré par des élèves, sur le temps du midi


La clé du CLE

Ce qui m'a marqué une nouvelle fois dans cet établissement, c'est la passion que met l'équipe enseignante à (se) questionner, à innover, à proposer, à essayer, à se tromper, à s'améliorer, à dialoguer. Ce qu'on attend des élèves, en somme. Et ce, dans une manifeste joie, bonne humeur et complicité entre les collègues, et avec les élèves, malgré la fatigue de l'investissement que cela demande. Et si la clé que nous offre le CLE, et tous les autres établissements que j'ai pu visiter cette année, c'était justement de sortir de nos rigidités, de nos peurs de mal faire en tant qu'enseignant.e, de notre posture de sachant.e, de notre angoisse d'être jugé.e par les élèves, les parents, les chef.fe.s d'établissement, pour se remettre dans cette posture d'élève, d'apprenti.e, qui a le droit à l'erreur et qui apprend en essayant?

En tout cas, pour ma part, ce tour des initiatives pédagogiques alternatives cette année m'a vraiment convaincue du bien-fondé d'oser innover et apporter de nouvelles façons de voir et de faire dans l'enseignement. En choisissant de ne pas retourner tout de suite dans l'Education Nationale pour travailler dans un modèle d'enseignement radicalement différent, je continue dans cette lancée de l'AlterVie : oser expérimenter, oser essayer, oser me tromper, certaine dans tous les cas que cela sera riche d'enseignements et que j'en sortirai encore mieux armée pour continuer à essaimer. Car après tout, comme nous le montre le CLE, et tous les autres établissements, publics ou privés, visités cette année, il n'y a pas besoin d'être très nombreux.euses pour faire changer le système !;)


Pour conclure, "ne doutez jamais qu'un petit groupe de personnes peuvent changer le monde. En fait, c'est toujours ainsi que le monde a changé." - Margaret Mead


Justine

PS : je voulais aussi vous parler d'un réseau d'école qui me tient à cœur, Arborescences. Ce réseau propose un ensemble d'école pour les élèves Hauts Potentiels Intellectuels et/ou Emotionnels (aussi appelé.e.s « précoces », et anciennement les « surdoué.e.s », même si ces termes sont aujourd'hui remis en question). Parce que, contrairement aux idées reçues, les enfants hauts potentiels peuvent avoir des difficultés scolaires, malgré leur haut QI. Car être haut potentiel, ce n'est pas qu'une histoire de quotient intellectuel, mais aussi bien souvent de troubles associés (oui, on peut être haut potentiel et dyslexique !), d'hypersensibilité, et de difficultés relationnelles et sociales. Par manque de temps, je n'ai pu visiter l'une de ces écoles, celle de Bry-sur-Marne, qu'une journée, et je n'ai donc pas assez d'éléments pour en faire un article de 100 pages comme je les aime (arf) ! Honnêtement, je ne sais donc pas ce que valent ces écoles, n'ayant pas pu être assez en observation pour en tirer des conclusions, mais l'idée que cela existe me réjouit ! Ils / elles proposent plein d'outils chouettes, notamment en gestion des émotions pour leurs élèves. Un pan de l'éducation trop souvent oubliés dans nos écoles traditionnelles...


Pour en savoir plus :

Sur les écoles pour haut potentiel : https://www.arborescences.org/


Et mon petit conseil lecture de la rentrée : S'épanouir à l'école, de Caroline Sost (la fondatrice de la Living School à Paris, l'une des « Changemaker Schools »), 2018 : un peu redondant parfois mais plein de beaux principes éducatifs à garder ou se remettre en tête quand on enseigne;)


En bonus : Petite perle d'élève entendue au CLE :

La professeure : « Le ciel pleure est une personnification. »

L'élève : « Bah en Normandie il doit être très triste alors ! »

 
 
 

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