Le Bois du Barde et l'Effet Papillon : des lieux et projets qui se réinventent
- Baptiste Fageolles
- 21 août 2022
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 août 2022
Pour terminer notre tour de France en territoire breton qui a été, comme vous l'avez lu, très fourmillant d'initiatives alternatives qui réchauffent le cœur, on avait envie de vous parler de deux lieux qu'on avait repérés dans nos recherches préliminaires : Le Bois du Barde et la Scie Rit. Le premier est l'un des plus vieux écolieux de la région (plus de 10 ans d'activités), le deuxième est un projet tout récent (2020). Deux lieux, deux projets, et surtout mille manière de se réinventer... car si l'on retient bien une chose de ce tour d'AlterVie, c'est que les projets alternatifs changent et doivent sans cesse se réinventer, au gré des saisons, des politiques économiques et territoriales, et des nouvelles énergies qui s'y investissent (ou au contraire, s'en désengagent...) !
Le Bois du Barde : un lieu enchanteur
« C'est le vent de la mer qui doucement les transporte, les histoires, les contes de l'ancienne époque. C'est comme une musique qui resterait pure et limpide. J'ai pu entendre le chant des druides. »
Le chant des druides, Manau, album Panique Celtique 1998
Le chant des druides résonne à nos oreilles lorsqu'on découvre le Bois du Barde, à mi-chemin entre deux univers : entre une activité fourmillante au goût du jour et des ruines de la Bretagne ancienne disséminées au milieu des arbres multicentenaires que l'on croirait suspendus dans le temps. Nous avons pu découvrir ce lieu en profitant d'une nuit d'hébergement en caravane et d'une visite organisée par l'office de tourisme du Kreiz Breizh (Centre Bretagne).

Une approche permaculturelle du travail
Ce lieu d'une quinzaine d'hectares est un des 70 PTCE (Pôle Territorial de Coopération Economique) de France qui fête cette année ses 10 ans d'activité économique. Au départ, c'était un projet individuel familial qui s'est peu à peu transformé en collectif d'habitant.e.s et d'activités au fil des rencontres et des opportunités, avant de se structurer en savant mélange d'entreprises privées et associations qui gèrent différentes activités sur le lieu.

Le Bois du Barde a été le premier hébergeur de centre Bretagne a recevoir l'Ecolabel pour son activité d'accueil touristique en 2018, ce qui est aujourd'hui une de ses activités principales. Iels accueillent des voyageurs.euses de passage en camping ou dans des hébergements insolites (yourtes mongoles et bretonnes et roulottes) dans leur écolieu afin de faire découvrir leur mode de vie sobre et résilient (traitement des eaux usées en phyto-épuration, ferme pédagogique et potager, constructions écologiques). Iels accueillent aussi des camps scouts en immersion nature (sur les 4 semaines par an de camp trappeur, 2 se font en français et les 2 autres en breton sur le thème « Quat Lanta en tyferme » soit « Koh Lanta à la ferme » en breton) au milieu des anciens vergers de pommes à cidre ravagés par deux calamités qui ont mis à terre plus de 200 arbres. Parmi ces vergers plantés dans les années 80 et tombés en désuétude, 1000 pieds répartis sur 7 variétés de pommes en bio continuent à fournir une maigre production de pommes à cidre vendue à la cidrerie du Val de Rance. Le lieu avait également une activité laitière qui s'est arrêtée au moment de l'instauration des quotas.

Ce creux d'activité laissé par le verger de pommes a permis un report d'attention sur une autre ressource disponible localement (travailler à partir de l'existant, permaculture on a dit!) : le bouleau et sa sève ! Eparpillés dans les tourbières (zones humides) du domaine, c'est près de 300 bouleaux qui ont été recensés, dont certains vieux de plus de 300 ans. Cette boulée (c'est ainsi qu'on appelle un verger de bouleaux) qui n'a pas été plantée initialement avec une vocation d'exploitation fournit près de 6000L de sève, une production dont une moitié est vendue fraîche et l'autre moitié naturellement lactofermentée sans ajout. La récolte se fait sans pomper, ce qui affaiblirait l'arbre, et iels récoltent à la mi-février uniquement « ce que l'arbre veut bien donner » en perçant dans l'aubier, c'est à dire le bois jeune, soit 2 à 5L/jour des 200L qui montent vers la cime. La sève est consommée en cure de 21 jours pour ses propriétés détoxifiantes à raison de 20/25 cl par jour après avoir été analysée en laboratoire pour garantir sa qualité.

Autour des bouleaux gravitent quelques animaux, un bouc aux airs sataniques, quelques poneys des highlands qui aiment particulièrement les tourbières, et 5 ânes qui sont également venus rejoindre l'activité de ferme équestre avec la proposition de randonnées pédestres accompagnées d'ânes. Pour compléter la ferme pédagogique, quelques moutons, 2 cochons et 30 à 40 canards et poulets croisés coucous de Rennes (une race endémique de Bretagne) sont élevés et nourris avec les déchets de compost puis abattus en s'appuyant sur le réseau d'abattage et de transformation local. Le choix des habitant.e.s s'est porté sur une alimentation flexitarienne avec une consommation de viande occasionnelle produite sur le site afin d'augmenter leur autonomie alimentaire. L'autarcie n'est pas recherchée car iels souhaitent maintenir une interdépendance avec le territoire.

Vous l'avez compris, le travail au Bois du Barde est à l'image de ce paragraphe, vivant, riche, divers, ça part un peu dans tous les sens mais tout est minutieusement pensé pour être en accord avec l'éthique du lieu, la création de lien et la valorisation du territoire.En effet, ici, on essaie de travailler avec ce qui est là et ce qui se présente, dans l'idée d'intégrer plutôt que de séparer, une philosophie largement inspirée de la permaculture qui infuse dans beaucoup de pratiques. Dans le modèle sociocratique qui est également celui du lieu (pour plus de détails sur le modèle sociocratique, voir notre article sur Ecolectif), on ne parle pas tant de salaire et de temps de travail que d'objectifs et de responsabilités. Ainsi, il est presque difficile de croire qu'iels « privilégient la fainéantise » selon leurs mots, tant iels semblent occupés par un large panel d'activités intenses.

Un lieu fantasmagorique qui invite à la rêverie

Une fois quitté la place du village, un petit chemin monte vers l'ancien verger et la flânerie peut commencer. Au détour de ces chemins creux typiques de la Bretagne celtique se côtoient des arbres multicentenaires classés « arbres exceptionnels et remarquables » et des vestiges de colonnes gallo-romaines, traces d'une ancienne voie gallo-romaine qui passait par là. Pour le bonheur des grand.e.s et des petit.e.s, quelques indices de chasse au trésor sont éparpillés ça et là, invitant à regarder les lieux autrement, tendre l'oreille ou affûter l’œil à la recherche d'un indice ou peut-être d'un lutin, d'un korrigan ou d'un elfe qui passerait par là. En cas de besoin pressant un « tipipietcaca » (vous l'aurez compris ce sont des toilettes sèches sous un tipi, eh oui, iels s'amusent bien à l'apéro!) est à disposition.
Ces chemins creux non répertoriés sont une aubaine tant pour les randonnées à dos d'ânes que pour une balade estivale. Au détour des chemins il est possible de croiser quelques ruches à côté de ruines non répertoriées d'un ancien village napoléonien dont personne ne connaît l'usage exact mais qui aurait été déserté suite à l'assèchement de la source avoisinante. Ce site aux fortes énergies, où un habitant du lieu vient de temps à autre jouer de la musique, porte le doux nom de « Argelec », ce qui signifie... « le couillu » en breton (promis je n'invente pas!). Tout un territoire que les habitant.e.s cherchent à valoriser pour sa beauté et son charme tant ce serait criminel de ne le garder que pour soi.
La voix des femmes et des précarisé.e.s
Un des aspects non négligeables qui nous a fortement attiré vers le Bois du Barde est la présence d'Anne Laure Nicolas, cofondatrice et coordinatrice du lieu, qui est connue entre autres choses pour son engagement pour l'écoféminisme et la place du féminin dans la transition, questionnant notamment l'absence de femmes comme têtes de gondole des mouvements de la transition écologique et aux problèmes de légitimité qu'elles peuvent ressentir. Je ne raconterai pas ici son histoire et son point de vue à sa place de peur de le dénaturer, et parce qu'il manquerait cruellement de la saveur de l'engagement plein et entier de sa personne dans ce qu'elle raconte, qui fait pétiller ses yeux jusqu'au fond des chaussettes tant elle est animée par son discours. Néanmoins sachez qu'elle donne de nombreuses conférences et qu'elle propose des interventions et des accompagnements pour permettre à d'autres de profiter de son expérience et de ses talents d'oratrice.

Durant les dernières années difficiles que nous avons vécues, les habitant.e.s du Bois du Barde ont été témoins d'arrivées en centre Bretagne d'un nombre important et croissant de personnes en difficulté financière ou en situation de précarité qui viennent essayer de s'installer en habitats légers sur des terrains. Bien souvent ces personnes se heurtent au mécontentement des politiques publiques locales et des habitant.e.s avoisinant.e.s qui ne souhaitent pas voir se développer le phénomène de « cabanisation ». Sensibles à cette problématique et forts de leur notoriété et de leur poids économique local, le Bois du Barde se mobilise pour faire entendre leur voix sur ce sujet auprès des politiques locales en faveur des habitats légers (yourtes, tiny houses, etc.). Iels ont notamment demandé la création d'une pastille STECAL (Secteurs de Taille Et Capacité d’Accueil Limitées)sur leur lieu pour permettre la construction d'habitats légers.
De la Scie Rit à l'Effet Papillon : la métamorphose d'un projet alternatif

La Scie Rit était initialement un projet de reprise d'une vieille scierie désaffectée pour en faire un centre hébergeant des activités diverses et variées (presse de pommes de la Pom's factory, garage, etc.) dans l'idée de créer un écosystème synergique. Malheureusement, ce projet a rencontré nombre de grandes difficultés tant dans le financement, dans la mobilisation du groupe partie prenante, que dans la vétusté du bâtiment industriel récupéré. Le projet s'est alors recentré autour d'une activité de ressourcerie avec une idée en tête, revaloriser les beaux meubles bretons d'époques qui remplissaient les déchetteries pour redonner vie à ces merveilles du terroir en les sauvant de la benne. C'est sous le nom de « l'Effet papillon » qu'est née cette nouvelle entité qui fait partie du réseau des recycleries et tiers lieux bretons.
Ce lieu et ses usager.ères foisonnent d'énergie et d'idées dont en voici quelques unes en vrac : prêt de costumes et organisation d'un « défilé des Poks », association Ribambelle qui héberge des jouets mutualisés pour les enfants des alentours, cantine numérique et travail en partenariat avec les CHATONS (Collectif Hébergeur Alternatif Territorial Ouvert Neutre Solidaire) et l'association de Vannes KAZ pour aider à l'émancipation numérique face aux GAFAMs, salle de réunion/yoga, organisation de spectacles, accueil de personnes en situation de handicap, cours de ukulélé entre midi et deux, zone de gratuité salles de coworking, prêt de décoration, vaisselle et véhicules, plantation d'une haie verger citoyenne dans la commune, participation une fois par mois à une émission de radio du pays vannais sur l'économie sociale et solidaire et j'en passe et des meilleures...
Malgré le dynamisme et les (nombreuses et géniales) propositions de service que l'Effet papillon offre à la population, iels souffrent d'un manque de reconnaissance et de sympathie auprès de la population et des politiques locales qui ne les décrochent pas de l'étiquette de « baba cools buvant du thé sur une botte de foin ». De plus, les financements de la commune et du département étant maigres et bon nombre d'aides gelées, c'est une lutte permanente pour le maintien des 6 emplois répartis sur 5 équivalents temps plein. Lors de notre passage, la lassitude, l'agacement et la fatigue de cette situation difficile qui semble se prolonger étaient palpables, mais impossible pour autant d'envisager pour elleux d'arrêter tant les ambitions sont grandes et la nécessité du changement vissée aux tripes. Un bon rappel que chaque lieu / projet alternatif est un vrai choix militant, qui demande autant de courage que de cœur ! Alors on leur souhaite le meilleur en espérant que leurs projets fleuriront car des lieux et des gens comme ceux-là font du bien au territoire (et à notre moral on doit l'avouer!).

Voilà, notre tour de France des écolieux se termine sur ces derniers lieux bretons. Notre prochain article parlera des dernières découvertes pédagogiques de Justine, avant que nous fassions le bilan de cette année réalisée.
Pour conclure au moins brièvement, on dit que « si le battement d'aile d'un papillon peut déclencher un ouragan à l'autre bout de la planète, il vaudrait mieux se retenir et ne plus jamais éternuer ». Pour l'éternuement, on n'est pas sûr.e, par contre, ce dont on est maintenant certain.e.s après cette AlterVie, c'est que chaque petit changement, chaque petit engagement (la part du colibri, comme l'aime à l'appeler certain.e.s), même infime, même difficile, change les choses, les mentalités, les territoires. Certes, ça prend du temps, ça demande beaucoup de résilience, de créativité et de ténacité, mais ça fait aussi grandir et évoluer. Alors, même si ça nous paraît une goutte d'eau dans l'océan, ne nous retenons surtout pas d'essayer, à notre mesure, à notre échelle, de rendre le monde meilleur. Surtout que les gouttes d'eau, en cette pleine période de sécheresse, on en a cruellement besoin !
Du sweet et du croc sur vous,
Justine et Baptiste
Pour en savoir plus sur :
Le bois du barde : https://www.leboisdubarde.bzh/
Anne Laure Nicolas et l'écoféminisme : https://www.annelaure-nicolas.bzh/
La Scie Rit / L'Effet Papillon : https://www.mairie-baud.fr/environnement-cadre-de-vie/gestion-des-dechets/recycleries/leffet-papillon/
En bonus : notre coup de cœur, Notre dame de la fosse
On nous avait conseillé sur la route de passer voir Notre dame de la fosse, une jolie petite chapelle au fond d'une ancienne fosse minière et à notre arrivée sur le site on doit avouer qu'on a été subjugués par la beauté des lieux. Un mélange de profond recueillement et de sacré autour de cette minuscule chapelle encaissée dans un écrin de verdure. On vous partage en photos ce coup de cœur que l'on a eu pour ce lieu surprenant et magique.
En deuxième bonus : Un petit souvenir de notre passage à la vallée des saints, un lieu bien étonnant où un nombre impressionnant de statues de saints traditionnels bretons se côtoient dans des styles bien particuliers et variés. Notre coup de cœur : Saint Gonery (on a cru qu'il s'appelait saint Conery au début, ça lui allait bien...)

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