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Le groupe scolaire de l'Archipel : une nouvelle aventure !


J'ai entendu parler du groupe scolaire L'Archipel lorsque je travaillais bénévolement au collège expérimental de Grivery l'an dernier. Hoang-Mai, l'une des fondatrices, m'avait fortement recommandé de passer voir ce nouveau groupe scolaire alternatif (il a été créé il y a deux ans seulement) et pourtant déjà l'un des plus grands en France avec une soixante-dizaine d'élèves.

En effet, la Drôme étant l'un des grands pôles d'écoles élémentaires alternatives, il y a là un vivier d'élèves en demande d'une éducation différente. Or, une fois arrivé.e.s au niveau collège, ces élèves n'avaient pas d'option et devaient forcément retourner dans le système classique. Fortes de ce constat, Anne-Sophie, mère d'élève, et Pauline, institutrice ayant travaillé de nombreuses années auprès d'Isabelle Peloux, fondatrice de l'école élémentaire des Colibris aux Amanins, ont décidé de créer un collège / lycée alternatif pour offrir cette possibilité aux jeunes.

C'est dans le magnifique château des Ramières, dans les alentours de Valence, acquis par la SCI Les petits Ruisseaux à qui l'école paie un loyer, que L'Archipel a établi ses quartiers. Un bâtiment superbe avec un espace énorme, qui permet aux élèves d'avoir en plus des salles d'apprentissages formels une grande salle centrale qui sert à la fois d'espace d'accueil le matin, de salle de rassemblement pour les assemblées démocratiques, et de réfectoire ; d'une salle de gymnase pour les pratiques corporelles et sportives (yoga, boxe, fitness, trapèze...) ; d'un rez-de-chaussée aménagé avec une ludothèque et une salle de musique ; sans oublier les 5 hectares de parc dans lesquels les élèves peuvent se promener, courir, manger ou lire librement.


Les apprentissages, entre pédagogie démocratique et Freinet

J'ai donc passé une semaine immersive à L'Archipel, découvrant le fonctionnement de cette école. Comme beaucoup d'écoles de type démocratique, les élèves ont le choix entre plusieurs ateliers proposés dans la journée par différent.e.s intervenant.e.s (parent.e.s d'élèves, bénévoles, services civiques et prestataires) : histoire de l'art, jardin, cuisine, dessin, jeux de société, programmation informatique, yoga... Le champ des possibles est large et passionnant !

J'aime tout particulièrement l'atelier « Décryptage de l'actualité » que je trouve fondamental aujourd'hui dans une société où l'information va toujours trop vite, et absolument nécessaire dans une période marquée par les événements récents (crise Covid, guerre en Ukraine, élections présidentielles). Un atelier que tou.te.s les élèves devraient avoir dans l’Éducation Nationale (EN) !

A côté de ces ateliers qui fonctionnent sur la base du volontariat, les jeunes doivent aussi travailler obligatoirement le français, les mathématiques et l'anglais de manière formelle au moins une heure par matière dans la semaine. Pour ces temps plus formels d'apprentissage, l'école a choisi d'aller vers une pédagogie type Freinet qui vise à individualiser les apprentissages et à permettre à chacun.e de progresser à son rythme. Chaque élève travaille donc à partir de valide ensuite ses palliers d'apprentissages, ce qu'on appelle « les ceintures » en pédagogie Freinet. Le reste de l'apprentissage de ces matières dites « fondamentales » est assuré par le biais de clubs et ateliers (club Maths, atelier expériences Sciences, club journalisme, atelier d'écriture...) qui permettent d'apprendre via une pédagogie de projet.


Une approche autoréflexive sur les apprentissages, toujours inspirée de Freinet, commence aussi à se mettre en place dans l'établissement avec une heure de « recherche et production » par semaine, dans laquelle les élèves sont invité.e.s à avoir une posture réfléchie et méthodique sur leur façon d'apprendre et sur ce qu'ils/elles apprennent.


Des cours spécifiques de préparation au brevet et au bac sont par ailleurs fournis aux élèves passant ces examens. Élèves qui, contrairement à l’Éducation Nationale, ne sont pas forcément des élèves de niveau 3ème ou terminale, mais tout élève souhaitant les tenter. J'ai ainsi pu voir des élèves de niveau 4ème préparer le brevet, et des élèves de niveau premières le bac.


A noter que l'emploi du temps change à toutes les périodes (entre chaque vacances scolaires), proposant des activités variées et un renouvellement qui peut permettre aux jeunes de moins se lasser qu'avec le même emploi du temps toute l'année.


Enfin, comme dans les autres écoles de type démocratique que j'ai pu voir, un fort accent est mis sur la responsabilisation : les jeunes, réparti.e.s en différents groupes, participent chaque soir aux activités ménagères qui changent tous les jours pour une égalité de répartition.


L'apprentissage de la démocratie directe et participative

Comme dans les autres écoles de type démocratique que j'ai pu visiter, l'Archipel propose de mettre directement en pratique la compétence du socle de l'EN : « la formation de la personne et du citoyen » par une démocratie directe et participative. Tous les vendredis, l'Agora, moment qui réunit tou.te.s les membres du collège pour les « points infos » et l'explicitation des « sujets à débattre », est suivie des Assemblées citoyennes, réunions par petits groupes permettant de discuter et d 'échanger autour des sujets à débattre du jour. Ces moments sont directement pris en charge par les jeunes puisque celleux-ci jouent le rôle de Président.e de la séance, de Secrétaire, ou encore d’Émissaire (la personne chargée de faire le compte-rendu de ce qui s'est dit dans leur groupe aux autres groupes).


La semaine où j'étais en immersion, le « sujet à débattre » était justement : « faut-il maintenir les assemblées citoyennes telles quelles ? ». En effet, les membres de l'école se demandaient s'il était pertinent que tou.te.s les jeunes participent obligatoirement à chaque fois à tous les débats (certain.e.s n'étant pas directement concerné.e.s et/ou intéressé.e.s par le sujet). Cela a donné lieu à des discussions passionnantes parmi les jeunes et très vite ont émergé des questions fondamentales autour de la démocratie : le fait que les assemblées citoyennes soient obligatoires, n'est-ce pas contradictoire avec le principe de liberté ? Tous les sujets doivent-ils être débattus par tou.te.s ? Si ce n'est pas le cas, sont-ce seulement les personnes intéressées (au double sens de celles que cela intéresse, mais aussi de celles qui y ont un intérêt) qui doivent le faire ? Cela ne risque-t-il pas de mener à des décisions qui ne seraient prises que dans l'intérêt d'un petit groupe, et pas dans l'intérêt général ? Cela ne risque-t-il pas de mener à une forme d'oligarchie (régime politique dans lequel le pouvoir n'appartient qu'à une classe restreinte et privilégiée) ?

Clairement, toutes les tensions entre liberté individuelle et responsabilité collective que pose le système démocratique étaient bien présentes et soulevées avec une grande clairvoyance par ces jeunes. Chaque groupe a fait de multiples propositions (ne participer qu'aux sujets qui les intéressent, ne participer qu'une semaine sur deux de manière obligatoire aux Assemblées, faire un tri préalable entre les sujets à débattre qui concernent tout le monde et ceux qui peuvent n'intéresser que certaines personnes...) et ce sont finalement les émissaires de chaque groupe qui ont adopté une décision par consentement parmi ces différentes propositions. Cette décision, comme chaque décision prise par l'Assemblée, est adoptée pour trois semaines avant un bilan pour savoir si elle est maintenue ou pas.

Tableau des émotions

En outre, tous les midis, le CDJ (Comité de Justice) propose des médiations pour tout problème signalé par un.e membre de la communauté (sur le même fonctionnement qu'à l’École Créactive de Montauban) ; comme pour les Assemblées, le CDJ est composé à la fois d'un.e adulte qui encadre la séance et des jeunes qui prennent le rôle de Président.e, Secrétaire et Médiateur.rice. Ces rôles s'échangent et chaque jeune de l'établissement doit participer au moins une fois au CDJ.

Quand je vois aujourd'hui à quel point il est fondamental de repenser notre système politique pour qu'il redevienne une affaire publique (« res publica ») et qu'on parvienne à trouver des espaces de discussions et de débats cadrés et féconds, et quand je vois à quel point cette démocratie directe et participative est riche de questionnements, de propositions, de discussions et aussi d'innovations, je me dis que nos représentant.e.s politiques devraient en prendre de la graine ! En tout cas, il est certain que les graines de la démocratie sont bel et bien semées chez ces jeunes qui l'expérimentent aussi souvent.


De nouveaux horizons

Bien sûr, comme pour tous les établissements alternatifs que j'ai pu visiter, je me demande toujours où est le curseur entre la liberté de choix laissée à ces jeunes et l'apprentissage du sens de l'engagement et de la discipline ; entre l'individualisation des apprentissages et l'éducation à une culture commune pour tou.te.s ; dans l'équilibre entre les apprentissages disciplinaires (type Français, Maths, etc.) et les apprentissages transversaux... Et pourtant, plus je discute avec les jeunes qui sont dans ces établissements, plus j'entends les témoignages de certain.e.s pour qui l'école traditionnelle a été une véritable souffrance (en étant aussi consciente que c'est un prisme puisque c'est un certain type de public qui vient dans ces établissements), plus je me dis qu'il est urgent de réformer l'EN.

Et quand je parle de réforme, je ne parle pas des vagues changements de programmes qu'on nous apporte à chaque renouvellement électoral. Je parle de dépoussiérer les pratiques et de mieux nous former pour nous inviter à l'innovation et à la créativité dans nos manières de transmettre ; je parle de réduire les effectifs de classe pour nous permettre d'individualiser les apprentissages (ce qu'il nous est d'ailleurs demandé de faire mais avec des effectifs de 30 élèves par classe, c'est une vraie injonction contradictoire) ; je parle de revaloriser les profs, pas seulement financièrement mais dans le discours public également, pour l'énorme travail qu'ils/elles font au quotidien (contrairement à ce que peuvent encore penser certain.e.s de nos haut.e.s dirigeant.e.s dont je tairais le nom par devoir de neutralité, devoir qui manifestement ne va pas dans les deux sens) ; je parle de laisser davantage la parole aux élèves parce qu'ils/elles savent, au moins en partie, ce qui est bon pour elleux... bref, je parle de remettre de l'humain et du plaisir au cœur de l'éducation.


Et c'est avec cette envie-là au cœur, cet attachement profond que j'ai pour l'éducation et cette recherche constante de justesse, que j'ai pris une grande décision : prolonger ma mise en disponibilité et accepter un poste pour un an au collège de l'Archipel. Pour non plus seulement être observatrice des pratiques qui se font ailleurs comme je l'ai fait cette année, mais y être pleinement actrice, de l'intérieur. Mettre vraiment les mains dedans. Voir comment c'est « pour de vrai » et continuer à me faire mes propres opinions, à confronter mes a priori avec la réalité, à me challenger pour grandir dans mon métier. Et pouvoir y consacrer plus de temps que lorsque j'étais bénévole à Grivery et que je jonglais avec mes cours dans l'Education Nationale. Ne pas revenir dans l'immédiat dans l’Éducation Nationale est pour moi un choix difficile car je dois mettre de côté une valeur fondamentale pour moi, le service public ; mais dans l'EN, en cinq ans, j'ai dû parfois mettre aussi de côté nombre de valeurs chères à mon cœur en travaillant dans un système où beaucoup souffrent, enfants, parents, profs, AESH (Accompagnant.e.s des élèves en situation de Handicap)...


Alors, je me lance avec beaucoup de curiosité et d'espoir dans cette nouvelle aventure, dans laquelle Baptiste m'accompagne. On vous accueillera volontiers dans la Drôme, dans notre futur chez nous, pour continuer à refaire le monde ! A très vite ! :)

Petit panorama de la ville de Crest, dans les alentours de laquelle on vivra l'an prochain. C'est beau hein ?

Pour en savoir plus :

 
 
 

2 Comments


annesophie
Apr 29, 2022

Alors voilà!! tu as trouvé l'endroit pour t'installer?! Cette décision n'est pas surprenante au vue de ton parcours, de tous tes commentaires sur tes découvertes... comment retourner dans le système classique après ce que tu as vu? Peut être un jour avec plus d'expériences encore tu pourras change ce système?! Rassure moi, tu continueras à raconter tes expériences comme tu le fais? C'est très intéressant et enrichissant. Bonne installation: ça a l'air super joli en tout cas!

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Justine Fleur
Justine Fleur
May 10, 2022
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Coucou Anne-Sophie,

Aha oui il faut croire que ça ne surprend personne à part moi-même. Deux jours avant la proposition de L'Archipel, j'étais persuadée de retourner dans l'EN dans l'Essonne à la rentrée (j'avais même fait mes vœux de mutation). Mais je ne pouvais pas passer à côté d'une telle opportunité à continuer de me former ! Je garde toutefois au fond de mon cœur l'envie et l'espoir de retourner dans l'EN parce que c'est au service du plus grand nombre que j'ai envie de travailler.

Je vais essayer de continuer à garder ce blog vivant, ravie que ça puisse intéresser et enrichir les collègues :)

Plus qu'à trouver un logement maintenant. Tu seras bien sûr la bienvenue dans la…

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