Le Campus de la Transition : former pour transformer
- Justine Fleur
- 12 févr. 2022
- 9 min de lecture

Le premier mot qui vient sûrement en tête pour caractériser le Campus de la Transition est : frooooiiiiid ! En effet, dans cet éco-campus qui a réinvesti le domaine de Forges (en Seine-et-Marne), un château du XVIIIème siècle tour à tour hôpital militaire et internat, on ne peut pas dire qu'on ait mené la vie de château pendant trois semaines. En plein travaux d'installation du chauffage, on a fait la dure expérience de vivre, travailler, et dormir à zéro degré dans le dortoir bénévole (avant d'avoir une chambre chauffée, ouf !). Heureusement, à grands renfort de bouillottes et empilement de couvertures fournies par « L'Opération Sibérie » (un groupe de travail sur le sujet, qui met même à disposition des habitant.e.s un « Cahier du froid » pour pouvoir exprimer nos ressentis frisquets !), et de beaucoup de chaleur humaine, nous avons néanmoins survécu aux rigueurs de l'hiver pour pouvoir vous présenter ce lieu assez atypique dans notre périple.

Au cœur du projet : réformer l'enseignement supérieur pour former les acteur.rices de demain
Au départ du projet, il y a un groupe d'enseignant.e.s-chercheurs.ses, d'entrepreneurs.ses et d'étudiant.e.s du Mouvement « Pour un réveil écologique » qui se réunit avec la conviction que la Transition passe nécessairement par l'éducation, et que les acteurs.rices de demain sont les étudiant.e.s d'aujourd'hui. Ils/elles constatent aussi que l'enseignement supérieur n'est pas à la hauteur des enjeux des questions écologiques actuelles, et qu'il est urgent de réformer les modules d'enseignement pour intégrer dans tous les cursus une réflexion autour de la Transition, en offrant les sources et les outils nécessaires aux étudiant.e.s pour participer à une transition écologique, économique et humaniste. Ni une, ni deux, ils/elles décident de créer le Campus de la Transition en 2018, un collectif réuni autour du credo : « Comprendre pour agir, former pour transformer ». Concrètement, il s'agit de créer un éco-campus qui soit à la fois un lieu d'enseignement, de recherche-action et d'expérimentation.
Ainsi, cohabitent sur les 2500m2 de terrain mis à la disposition du collectif en échange de rénovation, des enseignant.e.s-chercheurs.ses travaillant sur des projets de recherche-action, des modules de formation innovants et la production de publications ; des salarié.e.s et services civiques dédié.e.s à différentes missions en lien avec la recherche, l'accueil des groupes, la communication, et l'entretien du lieu ; et des bénévoles qui participent aux différents besoins du lieu . Certain.e.s vivent sur le lieu (les Forgeois.e.s), d'autres y travaillent seulement (les Campusien.ne.s). Sans oublier les étudiant.e.s venant de grandes écoles d'ingénieur.e.s (ESSEC, ICAM) de passage pour quelques jours de formation. Tout.e.s celleux-là fourmillent gaiement, se croisent sans trop s'approcher (mesures Covid oblige), et échangent au détour d'un couloir, d'un repas ou d'une activité partagée.
Une pédagogie innovante : les 6 portes et la pédagogie tête-corps-coeur

A l'été 2019, le Ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation a mandaté le Campus de la Transition pour produire un guide pratique sur la formation à la Transition dans l'Enseignement Supérieur. Ainsi est né au Campus le projet FORTES, un groupe de travail constitué d'enseignant.e.s-chercheurs.ses et d'étudiant.e.s de toutes les disciplines réfléchissant à la Formation de la Transition écologique et sociale dans l'Enseignement Supérieur. Leur travail a débouché sur la parution du Manuel de la Grande Transition, un ouvrage pluri- et transdisciplinaire présentant six portes d'entrée dans la question de la transition, autant d'ouvertures possibles susceptibles de permettre à tou.te.s de trouver une porte d'entrée en fonction de ses centres d'intérêt et/ou de son cursus (scientifique, économique, politique, philosophique, sociologique, artistique...). Plusieurs Petits Manuels sont en cours de rédaction pour compléter ce grand Manuel.

Cependant, pour le collectif, le changement de perspectives ne doit pas se faire simplement dans les contenus disciplinaires mais aussi dans les pratiques pédagogiques. En effet, la pensée de la Transition n'est pas qu'une question de chiffres, de faits et de sources ; elle doit aussi se vivre, se ressentir et s'intégrer au niveau corporel et émotionnel. Le Campus de la Transition cherche donc également à renouveler les pratiques d'apprentissages, en donnant davantage de place aux compétences plutôt qu'aux simples connaissances (pédagogie de projet favorisant la réflexion critique, l'innovation et la collaboration) et à l'expression des émotions.
Ainsi, au château, la journée commence par un « mot du matin » à 8h30, moment collectif qui s'organise autour du partage de la « météo intérieure » (comment on se sent à ce moment donné), d'un moment d' « attention partagée » (un texte ou une musique partagée par une personne), et d'une activité collective (petit jeu, mise en mouvement du corps, chant...). Ce moment fonctionne en autogestion, un tableau permettant à chacun.e de s'inscrire pour le mener. Les « Cafés-terrain » du jeudi après-midi sont aussi des moments de réunion de toutes les personnes du Campus, qui allie partage des informations, petits jeux de cohésion ensemble, et moment d'écoute empathique.

Les étudiant.e.s accueilli.e.s en formation participent au « mot du matin » et leur formation s'organise entre des moments de réflexion sur les enjeux soulevés par les différentes portes, des ateliers de groupe, des témoignages de certain.e.s habitant.e.s du Campus pour écouter des parcours atypiques, et des moments d'activités physiques au potager et à l'entretien du parc. Les repas sont exclusivement végétariens et cuisinés avec des produits locaux, une manière d'intégrer aussi la Transition dans son assiette.
Le Campus propose aussi avec la coopérative Oasis et et Colibris la formation T-Campus, 6 semaines de formation qui allient modules de formation et visites d'écolieux pour envisager la transition sous différents angles (la prochaine promo a lieu bientôt, plus d'infos en fin d'article).
Notre vie de bénévoles au Campus :
« Siffler en travaillant »...
Nous sommes arrivé.e.s début janvier au Campus, pour trois semaines de bénévolat. Concrètement, les bénévoles travaillent six heures par jour sur 4 jours contre le logis et le couvert, et effectuent en roulement avec les habitant.e.s du château des « services » pour le commun (ménage, préparation du réfectoire, vaisselle, vidage des toilettes sèches...). Les week-ends sont libres. Les journées s'organisent par demi-journée de travail où nous sommes réparti.e.s sur les différents pôles de besoins du Campus : cuisine, bricolage, entretien du lieu, potager, jardin, entretien du parc. Ainsi, tour à tour, nous nous sommes retrouvé.e.s à découper des caisses de citrouilles abîmées pour les transformer en confiture (au Campus, on a découvert les confitures de courges, miam !), à mettre les mains dans du fumier tout chaud pour l'étaler sur les nouvelles butes du potager (plutôt agréable finalement quand il fait -5 degrés dehors), à apprendre à tailler des cassissiers, à poser du lambri ou encore... à courir après Coton-Tige, le bélier mascotte du lieu, et ses copains, qui se sont enfuis de leur enclos !
… la mise en pratique de la permaculture avec le potager...
On a surtout beaucoup travaillé pendant ces semaines au potager, l'occasion de mettre enfin en pratique les 50 règles d'or de la permaculture qui est notre livre de tableau de bord pendant nos trajets d'un lieu à l'autre. Pour celleux qui ne connaîtraient pas, ou seulement de loin, la permaculture, c'est un mode d'agriculture systémique qui repose sur trois principes fondamentaux : prendre soin de la terre, prendre soin des Humain.e.s, et créer et redistribuer l'abondance. L'idée, c'est de produire mieux en observant et en respectant le terrain sur lequel on plante, et en utilisant au maximum les alliances naturelles qui se tissent entre les plantes et l'ensemble du vivant sur ce terrain. On donne ainsi souvent l'exemple des « trois soeurs » : planter ensemble du maïs, des haricots et des courges, car les tiges de maïs servent de tuteurs naturels aux haricots, les racines des haricots fournissent de l'azote nécessaire à toute plante pour pousser, et les courges permettent de retenir l'eau dans la terre et d'empêcher la pousse des mauvaises herbes grâce à l'ombre qu'elles fournissent. Tout en valorisant au maximum, bien sûr, les variétés locales. Ainsi, aucun jardin en permaculture n'est semblable à un autre !
Avec Tim, un ancien du Permacooltour (une super initiative qu'on vous invite à découvrir plus bas en suivant le lien), pédagogue en chef, nous avons préparé la terre du nouveau potager, car la période hivernale est l'occasion d'agrader, c'est-à-dire d'améliorer, la terre qui recevra les semis au printemps, en la nourrissant de plein de bonnes choses, nutriments et minéraux entre autre. On a donc poussé pas mal de brouettes de compost, de fumier, et de BRF composté (bois raméal fragmenté) pour préparer les buttes de culture, une activité pas de tout repos mais très satisfaisante car on voit concrètement l'évolution du potager en quelques jours seulement ! Et puis, ce qui est super avec la démarche permaculturelle, c'est que rien n'est prédéfini, tout est recherche. Ainsi, on a recouvert certaines buttes seulement de fumier, d'autres seulement de crottin (les deux provenant du centre équestre juste à côté), d'autres encore d'un mélange des deux... et enfin certaines avec un tapis de feuilles mortes ramassées dans le parc. L'idée : voir quelle butte donnera la meilleure production et en tirer les conclusions pour l'année suivante.
… une foule de questionnements...
Bref, pas de quoi s'ennuyer, et surtout, après une semaine quasiment exclusivement passée au potager à pousser des brouettes et à étaler du fumier, notre corps tout endolori nous a bien rappelé que n'est pas maraîcher.ère qui veut ! L'avantage, c'est que bosser ça réchauffe !

Vivre dans ces conditions a aussi continué de nourrir nos réflexions : sur la recherche d'équilibre entre la sobriété énergétique et un minimum de confort de vie ; entre temps de collectif et temps pour soi ; entre entrain des projets et besoins personnels ; sur la question de la gratuité (bénévolat) et du salaire dans le travail ; sur l'optimisation des informations quand il y a beaucoup de passage et de turn-over (au Campus, tout le château est balisé d'affichettes précisant où se rangent les choses, comment faire tel ou tel service... hyper pratique!) ; sur la mutualisation des ressources, des connaissances et des compétences ; sur le choix de vivre sur un lieu de vie collectif (comme les « Forgeois ») ou à côté (comme les « Campusien.ne.s »). Plein de questions auxquelles nous n'avons pas forcément de réponses arrêtées, mais qui sont très stimulantes quand on cherche à réfléchir à la transition, car transitionner, ce n'est pas seulement changer de modèle énergétique et économique, mais aussi de modèle de vie, de représentations et de relations !
… une belle convivialité...
Le Campus c'est aussi et surtout les jolies rencontres que nous avons faites avec les habitant.e.s et les autres bénévoles, les conversations chouettes et les moments sympathiques permises par le collectif : les soirées jeux de société ou visionnage de film / documentaires dans notre QG chauffé (la « salle volontaires ») ; les « Cafés-terrain » du jeudi ; les propositions d'activités en autogestion grâce aux compétences de chacun.e : atelier d'écriture, de danse, de CNV, d'initiation au crochet... et bien sûr les repas conviviaux dans le réfectoire. On a aussi pu participer à un atelier « Fresque du climat » dont on avait beaucoup entendu parler, et qu'on a enfin pu expérimenter (spoiler alert : Justine va prochainement se former et pourra en animer si vous souhaitez découvrir).
Seul petit regret : ne pas avoir pu discuter davantage avec les chercheurs.euses du château, quasiment tou.te.s en télétravail, et avec les étudiant.e.s présent.e.s pendant notre séjour, à cause des mesures de distanciation du Covid.
… et toujours autant d'émerveillements !
Et puis bien sûr, on a pu profiter pleinement de la beauté de la nature en hiver : se réveiller face aux brumes spectrales qui durent parfois une journée entière, donnant un air de Shinning au château ; contempler les gelées matinales qui font étinceler les arbres et craquer l'herbe sous le pied ; écouter le concert des oiseaux tous les soirs à la tombée de la nuit, comme un adieu chanté au jour ; suivre les aventures de Touille, petit chat espiègle du château, dans les herbes hautes et jouer à cache-cache avec lui...
Nous quittons donc le Campus avec de jolis moments au cœur, direction maintenant L'Arche Saint-Antoine où nous retrouverons avec joie la chaleur... et des ami.e.s de voyage rencontré.e.s à Pourges !
Du sweet et du croc sur vous,
Justine et Baptiste
En bonus :
Pour s'informer :
Sur le T-Campus :
Le Permacooltour : https://www.facebook.com/lepermacooltour/
A voir : le documentaire Ruptures sur le changement de parcours de jeunes en grandes écoles
https://www.ruptures-le-film.fr/

A lire :
Le Manuel de la Grande Transition
Petit Manuel de la grande Transition : Pédagogie de la Transition
Les règles d'or de la permaculture, édition Les Mini larousse
Ecopsychologie pratique et rituels pour la terre : revenir à la vie, Joanna Macy : pour comprendre quelles sont les résistances qui nous empêchent de transitionner, et apprendre à se relier ensemble pour vivre ce passage de manière plus heureuse
et aussi plein de super BD découvertes grâce à la bibliothèque collective du lieu :
La recomposition des mondes, Alessandro Pignocchi, sur la ZAD de Notre Dame-des-Landes ;
La communauté, Tanquerelle et Yann Benoît, sur l'expérience communautaire radicale de la Minoterie dans les années 70, entre utopie et désenchantement ;
Cent mille ans, Bure ou le scandale enfoui des déchets nucléaires, Gaspard d'Allens, Pierre Bonneau et Cécile Guillard, pour réfléchir à la question de l'enfouissement des déchets radioactifs ;
Sapiens, la naissance de l'humanité, Daniel Casanave, David Vandermeulen et Yuval Noah Harari : Pour comprendre comment, depuis son apparition, l'humain transforme et modèle le monde ;
Pénis de table, Cookie Kalkair : un regard sur la masculinité par plusieurs hommes.
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