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La pédagogie Freinet : l'alternatif pour tou.te.s ?

Dernière mise à jour : 4 janv. 2022

Freinet, c'est un nom bien connu dans la sphère de l'éducation alternative, mais bien moins que Montessori, j'ai l'impression. Pourtant, en tant que fonctionnaire dans le public, mon cœur a toujours penché prioritairement en faveur de cette pédagogie, pas tant pour sa spécificité pédagogique (même si certains points diffèrent, on y retrouve des communs fondamentaux avec beaucoup d'autres pédagogies alternatives), mais surtout parce que ses théoricien.ne.s, Célestin et Elise Freinet, étaient eux-mêmes instituteur.rice.s dans l'Education Nationale. Cette pédagogie a donc été pensée dès le départ pour s'adresser à tou.te.s, et avec la volonté de transformer l'école de l'intérieur. Voilà un projet qui ne pouvait que faire frémir mes neurones et mon cœur !


Ainsi, il y a cinq ans, quand je passais mon concours pour devenir professeure et que je m'activais déjà à me renseigner sur d'autres formes de pédagogie, c'est donc surtout la pédagogie Freinet qui a retenu mon attention. Pourtant, très vite, s'est posé un problème de taille : pensée dans le cadre du primaire, où un.e seul.e professeur.e a une unique classe et organise ses journées comme il/elle le souhaite, ce qui n'est pas du tout le cas du collège, comment transposer cette pédagogie au niveau secondaire avec toutes les contraintes de ce niveau ?


Mes lectures et les discussions que j'ai eues ne m'ont jamais tout à fait permis de répondre à cette question, ayant besoin d'expérimenter pour comprendre. Je rêvais donc de pouvoir faire un tour au CLEF (Collège Lycée Expérimental Freinet) de La Ciotat, à ma connaissance alors le seul collège public en pédagogie Freinet. Créé en 2008, la structure avait aussi le mérite de l'ancienneté !Alors, quand j'ai su que j'avais obtenu cette année de disponibilité, une des premières choses que j'ai faites, vous vous en doutez, est bien sûr d'écrire au CLEF, en croisant fort les doigts pour pouvoir y être reçue ! Et cela a été une immense joie que l'établissement accepte ma demande d'immersion.


Pourtant, ce n'est pas immédiatement au CLEF que j'ai expérimenté pour la première fois la pédagogie Freinet au collège... mais dans l'établissement scolaire des Calandreta (« Calandrettes » en français) de Montpellier ! Avant de vous raconter ces deux expériences très enrichissantes, petit retour rapide sur les principes fondamentaux de la pédagogie Freinet.


La pédagogie Freinet en quelques mots


La pédagogie Freinet repose sur des principes assez proches des pédagogies alternatives : rendre l'élève davantage acteur.rice de ses apprentissages, en favorisant le tâtonnement expérimental, c'est-à-dire l'expérimentation et les hypothèses comme moyens d'apprentissages ; une individualisation et une autonomie dans les apprentissages ; et un changement de posture de la part de l'enseignant.e. Jusqu'ici, rien de très nouveau dans l'univers des pédagogies alternatives, même si c'est déjà énorme !


Cependant, un des principes qui m'a le plus parlé chez Freinet, c'est la dimension coopérative qui y est très importante, avec la mise en place d'instances particulières qui permettent aux élèves de s'exprimer, comme le « Quoi de neuf ? » du matin, moment d'entretien pendant lequel les élèves peuvent partager à la classe quelque chose qu'ils/elles ont vu, lu, entendu, ou vécu ; les Réunions de coopération qui permettent aux élèves d'être décisionnaires dans les règles de vie de la classe (dont me semblent s'inspirer les écoles démocratiques) ; ou encore les différents rôles attribués pour responsabiliser les élèves, par exemple celui de noter les devoirs pour les absent.e.s sur le cahier de texte virtuel de la classe, ou encore celui de faire le ménage dans la salle à la fin de la journée.

Surtout, pour moi, la grande différence de Freinet avec d'autres pédagogies repose sur la valorisation du travail comme apprentissage de l'autonomie. La pédagogie Freinet cherche en effet à responsabiliser le/la jeune en lui apprenant à s'organiser dans son travail, à prioriser, et élaborer par lui/elle-même son planning de travail. Ainsi, les élèves en pédagogie Freinet ont chacun.e un plan de travail individualisé avec des objectifs à atteindre sur une période donnée. Cette dimension de travail, qui est parfois peu appréciée dans les pédagogies alternatives valorisant plutôt le jeu, me plaît beaucoup car elle me semble préparer concrètement à des compétences nécessaires à avoir dans le monde, dont la capacité à s'organiser et le sens de l'effort dont j'ai déjà parlé dans mon précédent article sur l'éducation. Il faut ici sortir de la vision souvent négative associée au travail (et à son étymologie plus que douloureuse !) pour au contraire lui redonner une dimension positive. Ainsi, pour Freinet, il faut sortir du cours magistral pour aller vers une forme d'apprentissage en atelier, ce qui permet une individualisation des apprentissages, tout en faisant de la classe un laboratoire coopératif où l'enfant se pose des questions, cherche des réponses, formule des hypothèses. C'est donc une invitation à la pédagogie de projet, capable d'allier un enseignement différencié, à la fois individuel et coopératif.

Enfin, l'une des grandes spécificités de la pédagogie Freinet est le texte libre : une pratique qui invite chaque jeune à écrire régulièrement un texte, quel qu'il soit, pour faciliter l'apprentissage d'un écrit libre et sincère.

Première immersion dans l'univers Freinet : l'établissement Calandreta Léon Cordas, à Montpellier

C'est au détour d'une conversation à l'écovillage de Sainte-Camelle que j'ai entendu parler pour la première fois des établissements Calandreta, un réseau d'établissements scolaires dans lesquels l'occitan est mis à l'honneur (comme les établissements bretons Diwan). Autrement dit, là-bas, les cours sont en grande partie en occitan et les élèves encouragé.e.s à utiliser cette langue dans leurs travaux et entre elles/eux. Déjà, cela était passionnant en soi. Mais quand j'ai en plus appris que ces établissements privilégiaient une pédagogie inspirée de Freinet et d'un de ses courants, « la pédagogie institutionnelle », ni une ni deux, j'ai sauté sur l'occasion de me trouver près de Montpellier pour contacter l'établissement Calandreta qui s'y trouvait, et j'y ai été accueillie à bras ouverts pendant deux jours d'immersion.


Un établissement laïc associatif

Ce tout petit établissement (151 élèves au collège, 21 au lycée) a un statut associatif laïque privé sous contrat de l’État. Autrement dit, pour y être élève, il n'y a pas de frais d'inscriptions à proprement parler, mais les parents doivent adhérer à l'association. Ils/elles doivent aussi donner du temps libre pour le bon fonctionnement de l'établissement (cantine, ménage, temps d'encadrement) car comme pour tout établissement privé sous contrat, seul le salaire des enseignant.e.s est pris en charge par l’État, le reste est aux frais de l'établissement. J'ai beaucoup aimé le principe d'un statut associatif de l'école, statut que je ne connaissais pas : il a pour moi l'avantage de rester accessible au plus grand nombre, tout en incluant également davantage les parents dans la vie de l'école !


L'ambiance chaleureuse des établissements à petits effectifs

En y entrant pour la première fois, outre le dépaysement que j'ai ressenti en pénétrant dans un univers où l'occitan est roi, j'ai tout de suite ressenti l'ambiance très chaleureuse des petits établissements, où tout le monde, membres de la direction, professeur.e.s, vie scolaire, élèves, se connaît, au moins de vue. Cette impression a été renforcée, sans doute, par la responsabilisation et la confiance qu'on place en ces adolescent.e.s : ici, tout le monde est souriant, accueillant, on ne se bouscule pas dans les couloirs et les jeunes sont laissé.e.s assez libres de circuler comme ils/elles le souhaitent sans qu'on doivent leur demander toutes les deux minutes pourquoi ils/elles « traînent » dans les couloirs. La confiance qu'on leur fait s'étend d'ailleurs aux ateliers (théâtre, presse ou tricot) qui ont lieu sur les temps du midi, ateliers que peut proposer tout.e élève volontaire qui aurait la ceinture d'autonomie (j'y reviendrai) adéquate lui permettant d'encadrer un groupe sans adulte présent.e. J'ai beaucoup aimé aussi le fait que s'entrecroisent des élèves du collège jusqu'au lycée, permettant ainsi une mixité des âges au sein de l'établissement.

Ci dessus, le mur des gratitudes (en occitan bien sûr) où les élèves peuvent déposer leur post-it ; et les différents projets Erasmus de l'établissement.

Un conseil de classe pas comme les autres

Pendant mon immersion, j'ai pu assister à différents cours, niveau collège et lycée, prendre mes premiers cours d'occitan (une langue charmante assez proche du vieux français !), et surtout, assister au Conseil de classe hebdomadaire des 6ème. Ce conseil n'a rien à voir avec un conseil de classe traditionnel, mais est en réalité un moment où toute la classe se réunit avec le/la professeur.e principal.e de la classe ainsi que le/la référent.e vie scolaire (AED) qui suit la classe (il est d'ailleurs intéressant que les AED de l'établissement ne soient jamais appelé.e.s surveillant.e.s, mais animateur.rice.s !). Ce conseil de classe est donc en réalité une version collège de la réunion de coopération imaginée par Freinet.

Très codifié, ce moment est une bonne représentation de la vision d'organisation coopérative de la classe selon Freinet. D'abord, ce sont les élèves qui le mènent : un.e élève (à tour de rôle) prend le rôle d'animateur.rice de la séance, et deux autres celui de secrétaire de séance pour pouvoir en faire un compte-rendu. Toutes les personnes présentes sont assises en cercle, pour que chacun.e se sente en horizontalité. Ce moment d'échange est un temps dédié au partage des informations concernant la classe et/ou la vie du collège, des demandes (de mise en place de projets, par exemple), mais aussi un moment de « critiques » qui permettent aux élèves et/ou professeur.e.s (dont la voix est portée par le/la professeur.e principal.e) d'exposer des problèmes dans la classe et d'y remédier par de la régulation et de la médiation. Il y a aussi le moment des « félicitations » où chacun.e peut féliciter un.e camarade ou un.e professeur.e pour une réussite dans la semaine ! Le conseil se termine avec le passage des barrettes (ou niveaux) pour les ceintures de comportement (un autre outil Freinet) : chaque élève possède sa propre ceinture de comportement et peut progressivement, par la responsabilité dont il/elle fait preuve au quotidien, monter dans les échelons (à la manière d'un.e judoka qui passerait de la ceinture jaune à la ceinture orange) et acquérir de nouveaux droits, comme celui de pouvoir être seul.e dans le couloir par exemple, ou de mener des ateliers seul.e.s sur le temps du midi.


Le Conseil d’École observé à l'Ecole Créactive m'avait déjà convaincue du bien-fondé de laisser la parole aux élèves en les responsabilisant ; ici, le fait que les élèves puissent elles/eux-mêmes émettre des critiques et/ou des félicitations a renforcé cela en montrant toute la confiance donnée dans le jugement critique de ces adolescent.e.s en construction. Comme dans les écoles démocratiques, j'ai retrouvé ici une grande liberté et aisance de parole de la part des élèves, aussi jeunes soit-ils/elles, du fait de l'existence de ces instances dans lesquelles ils/elles sont incité.e.s à faire entendre leur voix, et qu'ils/elles apprennent à mener et diriger avec beaucoup de bienveillance. J'ai adoré le moment de « félicitations » car si on passe souvent beaucoup de temps à dire ce que ne va pas, dire aussi ce qui va bien me semble essentiel pour avancer collectivement. Et bien sûr, les rôles (ou "métiers") sont aussi des moyens de responsabiliser l'élève tout en le/la valorisant.


Le Conseil de classe n'est qu'un des moments coopératifs de l'établissement. En effet,l'établissement Léon Cordas est fortement attaché à la pédagogie institutionnelle, une des branches de la pédagogie Freinet, qui cherche à « romp[re] avec le primat de la relation pédagogique duelle » (Héveline et Robbes, 2010) qui peut s'établir entre un.e jeune et un.e adulte. Ainsi, l'instance du Conseil de classe permet un autre rapport aux adultes, et d'autres instances leur donne la parole comme le Conseil d’Élèves etleConseil d’Établissement auxquels peuvent participer les parents. Un Conseil d'Adultes (ou Conseil Pédagogique) a aussi lieu toutes les deux semaines, et un Conseil par matière pour chaque période entre les vacances. De quoi faire pâlir d'envie mes collègues de certains établissements qui peinent à obtenir ne serait-ce que des créneaux pour faire des heures de réunion pédagogique !

Difficultés de la pratique Freinet en collège

Bien sûr, comme tout établissement qui voudrait enseigner en pédagogie Freinet, Léon Cordas s'est heurté aux problématiques spécifiques de cette pédagogie dans le secondaire. D'abord, l'organisation des emplois du temps, fragmenté au collège en cours de 55 minutes : l'établissement privilégie au maximum des créneaux de deux heures plutôt qu'une, permettant davantage la pédagogie de projet. Ensuite, l'interdisciplinarité de la pédagogie : c'est pourquoi une partie des professeur.e.s enseignent dans deux matières. Enfin, la difficulté de créer un groupe classe vraiment soudé et coopératif, quand l'emploi du temps, les encadrant.e.s et l'espace changent toutes les heures : difficulté que l'établissement tente de pallier par une salle de classe fixe pour chaque classe. C'est une difficulté pour les professeur.e.s (qui n'a pas connu la fatigue de changer de salle toutes les heures ne pourra pas comprendre...) mais une manière pour les élèves de s'approprier l'espace en décorant la salle comme ils/elles le souhaitent, et en pouvant laisser leurs affaires. De plus, dans chaque salle, un « tableau-cahier de texte » propre à chaque classe permet aux élèves, du premier coup d’œil, d'avoir sous les yeux le travail à faire pour la semaine, ce qui participe aussi de cette pédagogie de l'autonomisation et de la planification du travail.

Blason réalisé par chaque classe, affiché à l'entrée de la classe


Certes, la difficulté pour les professeur.e.s à faire corps avec la classe en ne partageant que quelques heures avec elle (contrairement à l'enseignant.e de primaire) reste intacte, et comme me l'a bien dit le principal, on retrouve des problématiques classiques d'un collège traditionnel car on est « face à des ados ». Mais dans cet établissement, où des profils de professeur.e.s aussi divers que des diplomé.e.s d'une licence d'occitan, d'ancien.ne.s professeur.e.s d'université conquis.e.s par cette pédagogie, et des ancien.ne.s « Calandrous » (personnes ayant étudié en Calandreta) se côtoient, on cherche et on bricole ensemble pour enseigner aussi joyeusement que possible la passion de l'occitan dans une pédagogie différente.

Dans les faits, les cours auxquels j'ai pu assister ne diffèrent pas toujours forcément des cours parfois plus traditionnels de l'EN, même si certain.e.s professeur.e.s établissent des objectifs de plan de travail pour les séquences en cours, mais j'ai tout de même trouvé que les élèves étaient beaucoup moins « materné.e.s » dans l'apprentissage, davantage invité.e.s à l'autonomisation, par exemple dans la prise de notes ou la mise en place de projets (j'ai pu assister à la projection du projet « doublage d'un extrait de Totally Spies en occitan », un régal !), de quoi continuer à m'inspirer pour mes propres pratiques !

Et surtout, c'est cette volonté de coopération au cœur du projet de Freinet, et toujours très présente dans l'établissement Léon Cordas, qui m'a séduite : le principal et la principale adjointe sont aussi professeur.e.s dans l'établissement ; les élèves ont une complicité évidente avec un certain nombre de leurs professeur.e.s (certain.e.s d'entre elles/eux parlent d'ailleurs même mieux l'occitan que certain.e.s adultes de l'établissement, ce qui renverse de fait les rapports de pouvoir) ; les professeur.e.s travaillent main dans la main avec l'équipe des animateurs/rices pour le suivi des élèves. Tous les membres du personnel ont été formés, ou sont en train de se former, à la fois à l'occitan, à la fois à la pédagogie institutionnelle, ce qui permet à tou.te.s de parler le même langage et d'être d'accord (au moins théoriquement) sur les principes phares de l'établissement. Et la grande force de cet établissement (comme de la pédagogie Freinet) est d'être toujours en réflexion sur les pratiques, de les requestionner, de les partager avec l'ensemble du réseau Freinet. L'établissement recevait justement le lendemain de mon arrivée les rencontres de l'ICEM (Institut Coopératif de l'Ecole Moderne), rendez-vous incontournables pour les pédagogues Freinet. Le principe de la formation continue en action !


Deuxième immersion dans l'univers Freinet au collège : le CLEF, au collège Jean Jaurès de la Ciotat


Un « collège » pas comme les autres

Nous l'avons vu avec le collège Léon Cordas, enseigner en pédagogie Freinet au collège, du fait des contraintes de programme et d'emploi du temps du secondaire, n'est pas simple. Au collège de la Ciotat, pour pallier ces difficultés, un certain nombre de professeur.e.s enseignant alors individuellement en Freinet sont allé.e.s plus loin et se sont battu.e.s pour créer un dispositif spécifique à l'intérieur du collège Jean Jaurès : le CLEF, né en 2008. Ce dispositif inclus dans un collège (et non un collège entier, comme je le pensais initialement) permet, au sein de l'établissement traditionnel, un aménagement spécifique de l'emploi du temps des élèves en enseignement Freinet (une classe par niveau) pour leur permettre de réels temps de travail individualisé. Concrètement, les collégien.ne.s bénéficient de trois temps spécifiques dans la semaine, en plus de l'heure de Réunion de coopération (équivalent du Conseil de Classe à Léon Cordas) qui fait partie intégrante de l'emploi du temps : 3h d'atelier le lundi après-midi, et deux fois deux heures le mardi et le vendredi après-midi de travail individualisé (TI). Pourquoi ces temps ? Parce qu'ici, les élèves sont évalué.e.s par « trizaine », c'est-à-dire toutes les trois semaines. Ils/elles reçoivent à ce moment-là un bulletin spécifique qui fait le point sur leur travail dans les différentes matières. Ce travail se constitue à la fois du travail spécifique demandé pour chaque matière, à la fois d'un projet décidé par l'élève à réaliser dans l'une des sept matières Freinet (Mathématiques, Français, Histoire-Géo, Langues, Technologie, Sciences de l'Information), ce qui correspond au moment de l'atelier. A chaque Réunion de coopération, les élèves choisissent de s'inscrire en atelier dans une matière (qui doit changer à chaque fois) et proposent ensuite un projet à mener lors de cet atelier qui est validé par l'enseignant.e de la matière. Ainsi, pour donner un exemple, un.e élève aura, sur sa trizaine, à réaliser des exercices spécifiques à chaque matière (pour le Français un texte libre, une fiche de lecture, et une fiche d'exercices de grammaire par exemple) et à rendre, en plus, un projet réalisé en atelier de technologie (créer une lampe personnalisée).

Exemples de travaux réalisés en ateliers d'Arts Plastiques et Technologie : la pyramide du Louvre, Totoro en impression 3D, réalisation d'un jeu "électrique".


Les temps de TI sont ensuite des moments où les élèves travaillent en autonomie avec leur enseignant.e tuteur.rice sur l'ensemble du travail à réaliser, selon le plan de travail qu'ils/elles se sont fixé.e.s eux/elles-mêmes. Ainsi, ils/elles n'ont jamais de devoirs à proprement parler ! De quoi faire rêver nos élèves, non ? ;) Le/la tuteur.rice est là pour suivre le bon avancement de l'élève dans son plan de travail et l'aider à trouver les ressources dont il/elle peut avoir besoin (y compris parmi les élèves présent.e.s!). Les moments d'ateliers et de TI sont aussi de très bons moyens de travailler l'interdisciplinarité (un même projet pouvant en effet s'inscrire dans différentes matières) et le multi-générationnel puisque tous les niveaux de la 6ème à la 3ème sont mélangés à ce moment-là. Cela permet aux « grand.e.s » d'aider les plus « petit.e.s » (tutorat), mais aussi à ceux/celles-ci de montrer que parfois, ils/elles en savent autant que les « grand.e.s », ce qui est très valorisant !

Exemple de plan de travail individualisé ; liste des élèves-ressources en atelier HG

Bien sûr, cet arrangement de l'emploi du temps remanie le nombre d'heures de cours attribuées traditionnellement dans le programme. Pas évident de passer de 4h30 de français pour une classe à moitié moins, puisque le reste du temps est utilisé pour les TI ! Cela incite à repenser complètement sa programmation d'année, à passer plus rapidement sur certaines notions. Je me suis demandée si je serais capable de le faire... En tout cas, il est certain que loin de décharger mes collègues et contrairement aux idées reçues, cette façon de travailler leur donne beaucoup plus de travail que dans un enseignement traditionnel !

Autonomisation, auto-évaluation, et tâtonnement expérimental en action

Ainsi, cette configuration de l'emploi du temps favorise réellement l'autonomisation des élèves dans le travail, et l'individualisation des apprentissages : chaque élève peut apprendre véritablement à son rythme. D'autant plus que lorsqu'une évaluation (appelée brevet) est « ratée », l'élève a la possibilité de la repasser une deuxième fois pour pouvoir la valider (car il n'y a pas de notes à proprement parler, un travail ou un projet est -ou pas- validé). Pour les projets, la validation dépend d'ailleurs moins du rendu final que du raisonnement mis en place par l'élève par rapport à son projet : pour tout projet, il/elle doit expliquer le choix du sujet de son projet, les questions qu'il/elle s'est posé.e, les hypothèses qui ont été faites, justifier les choix décidés, et faire un retour évaluatif sur ce projet.


Cette dimension d'auto-évaluation est d'ailleurs très importante, comme j'ai pu le constater lors de la remise du bulletin de trizaine : avant d'être collé dans le cahier de suivi, l'élève le lit avec son/sa tuteur.rice et en souligne les points forts comme les points faibles. Le bilan du/de la tuteur.rice (ou appréciation globale) est donc faite avec l'élève. Celui/celle-ci doit aussi remplir un petit bilan de la trizaine (ses difficultés, ses réussites). C'est l'occasion d'un réel dialogue avec les élèves et un moyen de les responsabiliser dans leurs apprentissages. Les parents ont ensuite un « droit de réponse » s'ils/elles le souhaitent, avant de signer le bulletin. Ce dialogue instaure un autre rapport entre les élèves et les professeur.e.s, notamment tuteur.rice.s. Ceux/celle-ci sont vraiment en posture d'accompagnement pour les aider à progresser, à prendre conscience de leurs erreurs et à s'améliorer. Aucun jugement là-dedans mais une grande responsabilisation de ces adolescent.e.s en construction : bienveillance et exigence s'allient très bien ici !

Enfin, la démarche de tâtonnement expérimental que j'ai observée dans les différents cours, où les élèves sont toujours invité.e.s à se poser des questions sur les documents qu'ils/elles voient, à formuler des hypothèses, à faire des liens avec ce qui a été vu auparavant et/ou l'intitulé du cours, permet véritablement un autre rapport à l'erreur, dédramatisé : se tromper, c'est avancer dans ses recherches !

La priorité donnée à l'oral

Ce qui m'a aussi beaucoup marquée dans cette semaine d'immersion, c'est l'importance donnée à l'oral. En effet, non seulement les cours « classiques », reposant beaucoup sur le principe du tâtonnement expérimental, invitent les élèves à beaucoup participer pour formuler leurs hypothèses, et ils s'ouvrent aussi avec des moments d'entretiens (les « Quoi de neuf ? ») ou des comptes-rendus de travaux propres à la matière disciplinaire ; mais, de plus, la troisième heure des ateliers est un moment destiné à la présentation orale de l'avancée du projet de chacun.e dans l'atelier : l'occasion pour l'élève de faire un point sur son état d'avancement, de répondre aux questions de ses camarades, mais aussi de recevoir éventuellement les conseils de ceux/celles-ci pour aller plus loin. Et comme, en plus, les élèves travaillent sur des sujets / projets qu'ils/elles ont a priori choisis, ils/elles en parlent plus volontiers ! Enfin, la Réunion de coopération est aussi un moment qui incite chacun.e à s'exprimer et à se faire entendre.

Ainsi, l'oral est travaillé de multiples manières de façon continue toute la semaine, et dans tous les cours (pas juste en Français) ! Ceci explique probablement la très grande aisance des élèves à l'oral, et ce sur tous les niveaux d'âge ! J'ai vraiment été bluffée. De quoi en prendre de la graine quand on connaît les difficultés de nos élèves à passer à l'oral...

Exemple de deux supports mis à disposition des élèves en Arts Plastiques pour les aider dans leur travail : le classeur de "déclencheurs" (des thèmes proposés) et le menu.

La cerise sur le gâteau : le cours de Sciences de l'information

Les collègues qui se sont battu.e.s pour faire exister le CLEF ont aussi rapporté une cerise sur le gâteau : le cours de Sciences de l'information. Enseigné par Cathy, professeure-documentaliste et coordinatrice cette année du dispositif, ce cours leur apprend à comprendre ce qu'est une information, à la déchiffrer, à trouver ses sources, mais aussi à l'utiliser : un des projets d'une élève dans un atelier de SI était de mener une campagne de communication pour récolter des dons alimentaires pour la SPA. Passionnant, non ? Ce cours devrait être selon moi une matière désormais obligatoire au collège quand on connaît toutes les dérives d'Internet, et les effets dévastateurs du complotisme aux nudes... C'est d'ailleurs un cours que les élèves apprécient beaucoup, parce qu'il leur parle de ce qu'ils/elles connaissent le mieux. A l'EN de nous donner les moyens de leur donner les moyens (vous me suivez toujours ?;) ) de s'en sortir avec ces nouveaux outils et cette société de l'image, hyper-connectée !


Conclusion : « Freinet, ce n'est pas qu'une méthode, c'est un art de vivre »

Je ne sais plus qui a prononcé cette dernière phrase écrite dans mon carnet d'immersion, mais peu importe : elle résume parfaitement, selon moi, ce que j'ai pu observer lors de ces deux immersions. D'ailleurs, mes entretiens avec différents élèves au CLEF révèlent des mots qui ne mentent pas (on sait que la vérité sort toujours de la bouche des enfants, non ?) : pour elles/eux, Freinet c'est : « apprendre l'autonomie », « être plus proche des profs », « s'entraider », « être motivé.e à venir à l'école parce qu'on choisit ce qu'on va travailler », « mieux apprendre », « apprendre à écouter », « s'exprimer mieux à l'oral », « savoir s'organiser », « travailler à plusieurs », « la bienveillance ». Pas un.e élève n'avait de reproche à faire à cette pédagogie ! Selon Aurélie, une ancienne élève du dispositif venue passer une tête pour dire bonjour, et qui s'est finalement retrouvée interviewée par un élève dans le cours de SI, c'est même « la meilleure période de sa vie », celle qui a « redonné le goût de l'école, la motivation d'y aller, de travailler », à cette élève souffrant de dyslexie (car oui, loin d'être un dispositif d'élite, beaucoup d'élèves avec des difficultés et/ou des troubles se retrouvent dans de telles pédagogies, comme me l'avait déjà dit le principal de Léon Cordas). Toujours selon Aurélie, « la mentalité Freinet, c'est garder cet état d'esprit, la solidarité et la tolérance, pousser les autres, pas les enfoncer ».


On comprend donc bien que choisir d'enseigner en pédagogie Freinet, encore plus dans le secondaire où tout nous met des bâtons dans les roues, ce n'est pas choisir la facilité, mais un choix militant, le choix de renouveler ce qui a poussé certain.e.s professeur.e.s dans cette voie : faire le choix de l'humain, toujours ; faire le choix de continuer à s'engager et se battre (parce que de tels dispositifs sont remis chaque année en question!) pour une éducation publique de qualité, chaque jour ; faire le choix de donner les clés aux adultes de demain pour apprendre à faire société ensemble.

J'ai une immense gratitude pour les professeur.e.s, les principaux.ales d'établissement, les animateur.rice.s, qui font ce choix ! Et pour l'accueil que j'ai reçu à Léon Cordas et au CLEF, pour les portes des classes qui se sont ouvertes, pour les collègues qui ont sans compter usé de leur temps pour répondre à mes questions, me montrer leurs outils, prendre le temps d'en discuter. J'en repars avec des idées plein la tête, et toujours plus d'envies dans le cœur !


A bientôt pour de nouvelles aventures,

Justine


 
 
 

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