La Colporteuse et les écoles ETRE : un réseau d'Ecoles de la TRansition Ecologique
- Justine Fleur
- 10 mai 2022
- 8 min de lecture
C'est au détour d'un article sur Reporterre, mon nouveau média préféré, que j'ai entendu parler du réseau Être, ces écoles de la Transition écologique qui veulent valoriser les métiers de demain tout en rattrapant au vol les élèves décrocheurs.euses de l'enseignement scolaire traditionnel. Comme cela est dit sur leur site : « Chaque année, en France 100 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme. En parallèle, dans les 30 prochaines années presque 1 Million d’emplois vont être créés dans la transition écologique. Un double défi pour les écoles ETRE ! ». La première école ETRE a été fondée près de Toulouse par Doriane Sylvestre et Frédéric Mathis en 2019. Depuis, le réseau a essaimé puisqu'il existe aujourd'hui huit écoles sur le territoire national. Et d'ici cinq ans, le but du réseau est de créer une école par région. Autant dire que la demande est forte !

« Une école pour celleux qui n'aiment pas l'école »
Les décrocheurs.euses de l'EN, ce n'est pas un problème nouveau. Pour toute personne travaillant dans l'éducation, c'est un défi de réussir à maintenir à l'école coûte que coûte des élèves que rien dans le système classique n'accroche, pour qu'ils/elles en sortent avec au moins un diplôme, et un crève-cœur quand on échoue à cela. La voie professionnelle, souvent seule porte de sortie proposée ne permet pas toujours de les retenir, pâtissant malheureusement d'une mauvaise réputation. C'est une réalité qui est trop souvent mise sous le paillasson, mais qui a des conséquences dramatiques réelles pour notre société (taux de chômage, personnes SDF...) et pour ces jeunes (difficulté à s'intégrer dans la société, à s'insérer professionnellement, dépression...).

Le défi que s'est donné le réseau d'écoles ETRE, c'est d'aller chercher ces jeunes de 17 à 25 ans sorti.e.s du système pour les remobiliser, leur redonner envie de s'investir, et leur proposer des formations qualifiantes, en lien avec les métiers de demain pour la transition écologique. Beau programme ! Concrètement, le réseau s'implante sur le territoire, parfois à partir de structures déjà existantes comme c'est le cas pour La Colporteuse, en proposant trois types de stages :
les stages de remobilisation : un accueil entre une et trois semaines pour remettre le/la jeune dans une bonne dynamique, lui permettre de découvrir plusieurs métiers, lui redonner le goût d'apprendre autrement, par l'expérience et le partage des savoir-faire ;
les stages de pré-qualification : lorsqu'un.e jeune a trouvé une voie qui lui plaisait, pour se former sur le terrain (3 mois) ;
les stages de qualification : ils permettent l'obtention d'un diplôme pour pouvoir s'insérer sur le marché du travail (jusqu'à un an de formation).

Les écoles ETRE proposent donc un accompagnement professionnel mais aussi et surtout, un accompagnement et un cadre profondément humain. La multiplicité des structures et associations accueillant les écoles permettent une large palette de métiers : du maraîchage à la soudure, en passant par le textile, la menuiserie, jusqu'à l'alimentation et l'éco-construction, chacun.e peut trouver chaussure à son pied. L'ancrage territorial de ces structures permet aussi aux jeunes de se déplacer dans le territoire à la rencontre d'artisan.e.s et d'acteurs.rices de la transition écologique.
Redorer le blason de la voie professionnelle et des métiers manuels : la voie de l'avenir ?
Nous l'avons dit à plusieurs reprises dans nos articles, penser la Transition nécessite de repenser le travail. En effet, les principes de sobriété et d'autonomie revalorisent des métiers, principalement manuels, qu'on avait jusqu'ici désertés. Je vois donc dans la Transition écologique un moyen de redonner toute sa place et sa valeur à la filière professionnelle, qui est trop souvent considérée dans l'EN comme une « voie de garage » pour les élèves pas assez « scolaires », qui peuvent s'y retrouver par défaut sans vraie volonté ou projet professionnel.
Loin de moi cependant l'idée de jeter la pierre aux professeur.e.s qui font de leur mieux pour accompagner leurs élèves : quand on voit qu'aujourd'hui qu'on demande aux professeur.e.s principaux.ales (« pp ») de 3ème non formé.e.s de faire le travail de conseillers.ères d'orientation, qui elleux-mêmes ne peuvent plus être présent.e.s qu'une matinée par établissement (raison pour laquelle j'ai toujours refusé d'être pp de 3ème), on ne peut pas s'en étonner, la faute en est entièrement imputable à l’Éducation nationale elle-même. Sans compter que les parents, pris dans les valeurs élitistes de la société, sont souvent rétifs à envoyer leurs enfants dans ces filières si dénigrées sociétalement. C'est donc tout le regard de la société qui doit changer !
Récolte des ruches de La Colporteuse
ÊTRE à Argentonnay et la Colporteuse
En route vers la Bretagne où nous passerons nos derniers moments de Tour de France (et oui, la fin approche ! ), j'ai fait un petit arrêt au château de Sanzay à Argentonnay, l'un des lieux qui a accueilli la quatrième école ETRE du réseau. L'occasion de découvrir ce très beau site qui sert de tiers-lieu, mais aussi la super association La Colporteuse qui y a établi ses locaux depuis 15 ans maintenant, en échange de rénovation.

Il était une fois la Colporteuse...

A l'origine, le.la « colporteur.euse » est « un.e marchand.e ambulant.e qui vend des marchandises de porte en porte ». Or, ici, pas de vente de marchandises, mais la proposition de moments à vivre-ensemble, de promenades poétiques, d'échanges de savoir-faire, de jardins partagés, un espace de création et de collaboration, « un lieu ouvert et allant vers » pour dynamiser le territoire local, dans l'héritage de l'histoire du lieu. En effet, on raconte que le seigneur Radulphe de Sanzay faillit un jour mourir d'ennui au château ; ayant perdu le goût de la vie quand tou.te.s ses sujets l'eurent déserté (l'histoire ne raconte pas pour quelle sombre raison), il fut trouvé attendant la mort dans son jardin par deux colporteurs passés par là. Pris de pitié, ceux-ci envoyèrent à la ronde tous les pigeons voyageurs du château avec ce message : « Radulphe de Sanzay s’ennuie à en mourir». Des colporteurs arrivèrent alors des quatre coins du monde pour installer au château toutes sortes de « pièges à ennui » afin de lui redonner le sourire.
C'est de cette tradition que s'inspire La Colporteuse, et qu'elle transmet sur ses différents « territoires de jeux » (les différents espaces dont elle dispose au château et à ses alentours). Que ce soit par l'accueil de chantiers participatifs, par des visites contées, par le « concours de la soupe », par les « collectages de rêves » (entretiens et micros-trottoirs réalisés avec les habitant.e.s de la région), par les stages proposés tout au long de l'année (le dernier en date sur la soudure à l'arc), par la Lulu'dothèque, par le bar associatif Le Ptit Potin, par la Cantine solidaire du jeudi à prix libre, par des expositions de peinture, ou encore par l'accueil des ados les mercredis et pendant les vacances scolaires, ce sont clairement les valeurs de partage, de curiosité et de convivialité qui sont mises à l'honneur. Des valeurs qui résonnent fortement en écho avec celles du réseau ETRE.
Des « colportages itinérants » permettent aussi de venir à la rencontre des petit.e.s et grand.e.s sur l'ensemble du territoire, avec le bar itinérant à bulles de savons, la « boîtes à rêves » qui propose des jeux de sociétés et des livres, ou encore la « KKravane » qui sont des toilettes sèches itinérantes. Bref, vous l'aurez compris, La Colporteuse est partout, et surtout là où ne l'attend pas : pleins de créativité, ses salarié.e.s et bénévoles ne sont jamais à recours d'idées et de projets !
Et l'école ETRE dans tout ça ?

Forte de ses multiples engagements, notamment écologiques et sociaux, La Colporteuse accueille désormais le réseau ETRE. Concrètement, pour l'année 2021, cela a représenté 12 semaines de stage de remobilisation à destination de 49 jeunes de la mission locale en quête de sens. L'association souhaite l'an prochain proposer également des stages de pré-qualification. Bien sûr, ce séjour à La Colporteuse n'est qu'une étape sur leur chemin de vie, mais une étape riche en découverte : sur le tiers-lieu, les jeunes peuvent se former à la permaculture, à la fabrication métal-bois, à la maçonnerie, à l'apiculture, à la savonnerie, à la cuisine... de quoi parvenir à tracer sa voie. Les animateurs.rices de La Colporteuse cherchent surtout à leur redonner confiance en elleux (par exemple en proposant à l'une des jeunes en remobilisation très douée en dessin de faire une exposition de ses peintures) et le goût de se lever le matin !

La semaine où j'ai été en immersion à La Colporteuse, il n'y avait pas de stage de remobilisation. Je n'ai donc pas pu rencontrer les jeunes directement concerné.e.s par le réseau ETRE. Cependant, des jeunes de la MFR Saint-Grégoire de Rennes en BTS Aménagements Paysagers et Productions Horticoles y étaient, accompagné.e.s de leurs enseignant.e.s, pour leur voyage de fin d'études. Les MFR (Maisons Familiales Rurales) sont des écoles qui accueillent des jeunes à partir de 14 ans jusqu'au niveau post-bac, motivé.e.s par des formations professionnelles et en apprentissage. Souvent, les jeunes y sont accueilli.e.s en internat et doivent participer aux tâches ménagères du vivre-ensemble, dans une volonté de responsabilisation et d'autonomisation. Ce sont des établissements associatifs sous contrat avec le Ministère de l'Agriculture. J'en ai assez peu entendu parler dans ma carrière de professeure, et à vrai dire, c'est seulement depuis cette année que je m'y suis penchée, ma petite sœur y cherchant une formation pour devenir soigneuse animalière. Sachant que ces établissements accueillent du public à partir de la 4ème, je trouve assez problématique d'avoir eu si peu de connaissances sur ces établissements, car cela pourrait être une voie d'orientation pour nos élèves souhaitant s'orienter tôt dans des métiers professionnalisants !

J'ai donc passé deux jours avec ces élèves de la MFR Saint-Grégoire et pu voir le type d'activités qui pouvaient être menées par les jeunes du réseau ETRE. Nous avons passé la première journée au « Jardin des Cabanes », le jardin permaculturel de l'association. L'occasion de revoir les bases de la permaculture, de faire un chantier désherbage, de réaménager les abords des « îlots » permaculturels (carte blanche a été laissée aux apprenti.e.s paysagistes), et de suivre une petite leçon sur les techniques de greffes (en fente, en écusson, en couronne, à l'anglaise...). Le mardi, nous avons appris la technique de la construction d'un mur en pierre sèches : on croit que c'est simple et qu'il suffit de poser les pierres les unes sur les autres, mais que nenni ! C'est en fait un judicieux choix de pierres, un subtil jeu d'équilibriste et surtout, beaucoup de patience pour faire tenir tout cela en quinconce (on doit pouvoir monter debout dessus sans que rien ne s'écroule !) et harmonieusement. Autant vous dire une vraie épreuve pour moi qui n'ai jamais été passionnée de legos...;)






Entre ces activités manuelles, les élèves ont bien sûr eu le droit à une visite contée du lieu, et à une sieste musicale par la Sonothèque nomade, un collectif qui récolte des chants de tous les dialectes aux quatre coins du monde et de la rue pour ensuite les colporter. Un beau moment de partage (l'un des jeunes de la MFR a même partagé un chant dans sa langue natale) et sutout, l'illustration concrète qu'à La Colporteuse, on cultive aussi bien les terres que les esprits !
C'est donc le cœur rempli de belles rencontres et la tête pleine d'inspiration que je suis repartie sur les routes en direction du Village du Bel-Air, en Bretagne, le prochain écolieu dont on vous parlera sur le blog. A notre façon, nous aussi, nous sommes heureux.euse avec Baptiste d'être des Colporteurs.euses et de semer les graines de chouettes initiatives alternatives autour de nous !

Du croc et du sweet sur vous,
Justine et Baptiste
Pour en savoir plus :
→ Sur les écoles ETRE :
→ Sur La Colporteuse : http://lacolporteuse.net/
→ Sur la Sonothèque nomade : https://sonothequenomade.world/
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