L'éducation démocratique : petit guide subjectif
- Justine Fleur
- 31 oct. 2021
- 16 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 avr. 2022
Je vous l'ai dit dans l'article précédent, Pourgues a l'ambition d'être un Village Démocratique, s'inspirant des écoles démocratiques. Une partie des habitant.e.s de Pourgues sont d'ailleurs les fondateur.rice.s de l'Ecole dynamique à Paris, la deuxième école démocratique fondée en France, en 2015.
Très intriguée par le concept d'une école « libérée des programmes, des emplois du temps et classes d'âges » (comme l'école l'annonce sur son site), j'avais participé en 2017 à leurs portes ouvertes. J'avais eu la chance d'y rencontrer des jeunes qui avaient retrouvé foi en l'apprentissage après l'avoir perdue dans le système scolaire classique de l’Éducation Nationale, et j'avais pu discuter avec un membre du « staff » (car il n'y a pas de « professeur.e » à proprement parler dans les écoles démocratiques) qui avait d'abord enseigné dans le système classique avant de travailler dans cette école privée (spoiler alert : ce n'est pas pour le salaire, encore moins élevé – si si, c'est possible!- qu'à l’Éducation Nationale!).
L'expérience d'un mois à Pourgues m'a permis de comprendre encore davantage le fonctionnement de telles écoles, les motivations des personnes qui les fondent et/ou y travaillent (souvent des ancien.ne.s enseignant.e.s) et des parents qui y mettent leur(s) enfant(s), et d'observer davantage les enfants et jeunes qui sont dans ce système, puisque les enfants de Pourgues sont en Éducation démocratique en IEF (instruction en famille). Lors de ce mois à Pourgues, j'ai aussi eu la chance de passer une semaine immersive à L’École Créactive, une école démocratique à Montauban qui reçoit une quarantaine d'enfants, âgé.e.s de 3 et 17 ans.
Mes réflexions s'appuient donc à la fois sur mes lectures, des discussions et mes observations.

NB : Elles ne valent que pour ce qu'elles sont, des réflexions, et on peut bien sûr les remettre en question. Je précise aussi que je n'ai qu'un regard de pédagogue, n'ayant pas d'enfants. Si un jour j'ai des enfants, j'imagine qu'elles seront amenées à évoluer.
Donc, plus concrètement, une école démocratique, qu'est-ce que c'est ?
Les écoles démocratiques françaises, au nombre d'une quarantaine aujourd'hui, s'inspirent de la Sudbury Valley School, la première école à avoir été fondée sur ce modèle en 1968 aux États-Unis. Une école démocratique, c'est une école dans laquelle sont réuni.e.s un ensemble de personnes, enfants, ados, et adultes, qui partagent l'idée que l'éducation consiste à faire confiance aux enfants dans leur capacité à apprendre par elleux-mêmes et à leur propre rythme (d'où le : « pas de programme, pas d'emploi du temps »). Le but de l'école démocratique n'est donc pas tant de tendre à ce que les enfants intègrent le plus grand nombre possible de connaissances, mais plutôt qu'ils/elles apprennent à évoluer vers l'autonomie et la liberté en faisant ce qu'ils/elles aiment, et ce même si ce qu'ils/elles aiment, c'est jouer 98% du temps ! D'ailleurs, le jeu, dans le modèle démocratique, et comme le théorise également Maria Montessori, n'est pas vain mais est au contraire la manière dont les enfants apprennent le plus, et le mieux (de nouveau, si cela vous intéresse, le livre de Peter Gray, Libre pour apprendre, est vraiment passionnant sur ce sujet!).
Dans le principe des écoles démocratiques, on ne suit donc pas le programme scolaire de l'EN (Éducation Nationale) puisque les enfants apprennent ce qu'ils.elles veulent, ce qui leur plaît, et à leur propre rythme (par exemple , on n'attend pas qu'un.e enfant de 7 ans sache lire parce qu'on a décrété qu'à 7 ans, il fallait savoir lire) ; il n'y a pas d'emploi du temps puisque les jeunes organisent elleux-mêmes leur propre journée, selon leurs envies et besoins ; et il n'y a donc tout simplement plus de classe d'âge, les jeunes pouvant se regrouper autour d'un apprentissage par affinité, et non par obligation. Le rôle de l'école est simplement d'assurer un cadre de liberté, de confiance, de sécurité et de respect à ces jeunes, et de pouvoir les accompagner dans leurs apprentissages s'ils/elles en formulent la demande.
Petit éloge de l’Éducation Démocratique
Redonner sa souveraineté à l'enfant
Personnellement, cette manière de penser l'éducation me plaît beaucoup, dans la considération et la confiance qu'elle fait aux jeunes d'être souverain.e.s dans leurs apprentissages. On sort ainsi de l'âgisme (discrimination d'une personne du fait de son âge) qui à mon sens est bien trop souvent présent dans le système scolaire traditionnel, qui ne considère pas l'enfant comme capable d'avoir une réflexion et une volonté de décision sur ses apprentissages. Au contraire, dans l'Education Démocratique, l'enfant n'est plus passif dans les apprentissages, mais véritablement acteur de ceux-ci. C'est une forme d'empuissancement (processus qui permet de (re)donner à chacun.e sa souveraineté et son autonomie) qui n'est pas forcément facile à mettre en œuvre pour les enseignant.e.s du système classique (dont je suis), car cela nécessite un changement radical de posture ! Comme le formule le règlement intérieur de l'École créactive : « le personnel n'a aucune intention éducative sur les enfants et n'opère aucune action proactive et consciente d'enseignement » sauf si cela est demandé par l'enfant. Il n'y a donc plus un.e sachant.e (le/la prof) et un.e apprenant.e (l'élève), mais bien deux personnes réunies ensemble pour partager mutuellement des savoirs, des savoir-faire, et des savoir-être. On se place dans un rapport horizontal avec les jeunes, en partant de leurs envies, de leurs besoins, en les écoutant et en ne cherchant pas à leur imposer quoi que ce soit. Dans le système démocratique, il n'y a donc plus non plus de devoirs, d'obligation d'évaluation (sauf si celle-ci est demandée par l'enfant), voire même d'obligation de présence, les sacro-saints de l'EN !

Motivation intrinsèque = la motivation qui vient de soi-même, par un élan personnel
Motivation extrinsèque = la motivation qui vient des attentes des autres, de mon envie de leur faire plaisir / de ne pas les décevoir
Apprendre la démocratie en acte
Ce modèle d'éducation est aussi passionnant car il permet concrètement et réellement aux jeunes d'avoir leur mot à dire dans la vie de l'école. Certes, vous me direz qu'il y a dans le système scolaire traditionnel le CVC (Conseil de Vie Collégienne) qui permet aux élèves d'être forces de propositions, et qu'un.e élève représentant.e élue est présent.e au CA, mais pour avoir été membre des deux Conseils, clairement, les propositions des élèves sont peu mises en œuvre, et au CA, ils/elles ne comprennent pas assez les enjeux pour se prononcer (moi non plus pas toujours, d'ailleurs....). Et puis, il y a toujours cette idée, au fond, que ce sont les adultes présent.e.s qui décident in fine. Il me semble donc que les élèves n'ont en réalité pas vraiment leur mot à dire dans l’École, alors que c'est l'endroit où ils/elles passent le plus de temps dans leur semaine...

Au contraire, dans les écoles démocratiques, le Conseil d’École (CE) et le Conseil de Justice (CJ), les deux instances majeures d'une école démocratique (dont j'ai déjà parlé dans l'article précédent puisque le Village de Pourgues s'en est inspiré dans les outils de vivre-ensemble) sont des instances dans lesquelles les jeunes ont vraiment droit à la parole, au même titre que les adultes. Ils/elles peuvent proposer des projets qui seront soutenus et mis en œuvre si ceux-ci ont été bien pensés et sont accepté par la majorité (par exemple : organiser une boum, un tournoi d'échecs, acheter du matériel...). Ils/elles sont d'ailleurs, à tour de rôle, élu.e.s pour être les Président.e.s et Secrétaires de ces instances, et ils/elles sont aussi Juges au Conseil de Justice. Des enfants comme des adultes peuvent être appelés à comparaître devant ce Conseil, car les adultes ne sont pas au dessus des règles posées par l'école. Pour exemple, une jeune fille m'a très justement rappelé que je ne devais pas laisser ma casserole sur le feu sans surveillance quand je m'étais absentée pour aller aux toilettes, cela aurait pu faire l'objet d'une demande de justice. L'un des membres du staff est d'ailleurs passé en CJ sur une question similaire et a perdu son « certificat d'utilisation du four » (sur le modèle des « ceintures » de Freinet, à L’École Créactive, les personnes de l’École passent des « certificats » qui leur permettent d'être aptes à utiliser seul.e.s, en autonomie, le four, les ordinateurs, ou encore les instruments de musique).

On pourrait bien sûr arguer du fait que parfois, même si on laisse des espaces de démocratie aux enfants, celleux-ci ne s'en emparent pas, parce qu'ils/elles n'en ont pas envie et préfèrent jouer, ou parce qu'ils/elles n'en ont pas les capacités (à 3 ans, difficile de comprendre ce qu'il se passe en Conseil de Justice...), ce qui est vrai. Mais le fait que ces espaces existent et qu'ils/elles y soient les bienvenu.e.s, comme dans les instances de la majorité des lieux que nous avons visités depuis le début de ce voyage, est déjà un grand pas, car tout est transparent et ils/elles ont la possibilité d'y participer s'ils/elles le souhaitent. L’École Créactive va même plus loin pour sensibiliser les enfants à cette approche démocratique : les temps d'Agora (moment de partage d'annonces) deux fois dans la semaine sont obligatoires, et les enfants doivent participer au Conseil d'Ecole 10 minutes pour les enfants âgés de 6 à 10 ans, et 30 minutes pour les 11-18 ans. Ainsi se fait l'apprentissage que la liberté implique la responsabilité, que les droits vont avec les devoirs.
C'est l'exercice de la démocratie et de la citoyenneté au jour le jour, et c'est vraiment très responsabilisant ! Et surtout, ici, le sentiment d'injustice que ressentent de nombreux jeunes (du type « les profs font ce qu'ils/elles veulent de toute façon ») est bien moins important que ce que j'ai pu observer dans l'EN.
Un apprentissage individualisé
De plus, l’Éducation Démocratique permet un apprentissage et un suivi bien plus individualisé, puisqu'on part ici des envies et besoins propres à chaque enfant. J'ai particulièrement aimé l'organisation choisie par l’École Créactive, qui propose aux élèves trois parcours parmi lesquels l'élève doit s'inscrire chaque semaine : le parcours académique dans lequel les élèves se fixent un/des objectif(s), par exemple : apprendre mes tables de multiplication, savoir écrire en attaché, progresser en grammaire... et établissent ensuite un plan de travail pour atteindre cet objectif, avec l'aide ou non d'un.e adulte ; le parcours thématique dans lequel l'élève choisit un sujet à étudier et doit présenter une semaine après un support – exposé, maquette...- montrant le fruit de ses recherches ; ou le parcours professionnel dans lequel l'élève développe son projet professionnel, se met en relation avec des professionnel.le.s et réalise des stages. Cette organisation permet à la fois aux élèves qui aiment la manière scolaire d'apprendre (si si, il y en a, promis juré!), à la fois à celleux qui préfèrent apprendre dans le concret en action, de le faire. Certes, depuis la réforme de 2016, on nous invite plus que fortement à individualiser les apprentissages dans l'EN, sauf qu'en ayant 30 élèves par classe à gérer en même temps (et ici je parle volontairement de gestion, car avec ce nombre-là, on est obligé.e d'être là-dedans...), x4 classes pour moi en français (et ne parlons même pas de mes collègues de musique ou arts plastiques qui ont quasiment la moitié des classes du collège!), c'est tout simplement impossible...

Sortir des sentiers battus : tout est apprentissage !
J'aime aussi particulièrement l'idée dans l’Éducation Démocratique que tout est apprentissage, pas seulement les enseignements formels. L'apprentissage se cache partout : dans les jeux, les promenades, les discussions, le fait de se préparer à manger le midi (puisqu'il n'y a pas de cantine)... car ce qu'on apprend, ce n'est pas seulement des savoirs, mais aussi des savoir-faire et des savoir-être. Ainsi, à l’École Créactive, tous les jeudis, les élèves ont le choix de rester à l'école, ou bien de faire une journée de Forest School (école en forêt). Lors de mon immersion, j'ai participé à cette journée d'école en forêt et c'était génial ! Quel bonheur d'être dehors une journée entière, pour moi qui suis habituée à me retrouver enfermée dans une salle de classe. Et quelle belle occasion d'apprentissage : les enfants apprennent à construire une cabane, à faire du feu, à observer les végétaux et les empreintes d'animaux, à se repérer dans l'espace. Il y a tellement d'activités à faire et d'occasions d'apprendre hors de la salle de classe !
Le développement de l'empathie
Enfin, l'une des choses qui me plaît le plus, et que j'avais déjà eu l'occasion d'observer lors d'un stage d'observation il y a quelques années à l’École Decroly (une école alternative publique à Saint-Mandé), c'est le mélange des classes d'âge. Dans l’Éducation Démocratique, des personnes d'âge très différent interagissent à longueur de journée, réuni.e.s autour de centres d'intérêts communs (cela peut être jouer à du jeu de rôle, participer à des tournois d'échecs, ou encore s'occuper du journal de l'école). Ainsi, à l’École Créactive comme à Pourgues, j'ai vu des « grand.e.s » jouer avec des plus « petit.e.s », ou les aider à réaliser quelque chose, ce qu'on ne voit quasiment jamais dans l'EN. Bien sûr, cela n'empêche pas qu'il y ait des tensions, des antagonismes, voire des antipathies entre jeunes, mais cela favorise vraiment chez les jeunes, à mon sens, le développement du « care », cette capacité à prendre soin de l'autre, et notamment de celui/celle qui est plus vulnérable que soit. Au contraire, dans l'EN, les classes d'âges favorisent à mon sens les phénomènes de harcèlement sur les plus jeunes, comme on peut le voir de manière flagrante cette année avec le « #anti2010 »...
Les écueils possibles de l’Éducation Démocratique
Bien sûr, tout n'est pas parfait non plus dans ce type d’éducation, et tout ce qui se fait dans le système scolaire traditionnel n'est pas à jeter (sinon, j'aurais sûrement déjà quitté le navire, mais je tiens profondément à l'école publique !). Lors de ce mois, j'ai vu certains écueils possibles qui me questionnent et me permettent de continuer à affûter mon sens critique.
Jusqu'où s'arrête la liberté ?

Tout d'abord, je me questionne sur l'idée d'une totale liberté laissée aux enfants. Je suis fervente partisane du fait que chacun.e sait ce qui est bon pour soi, et j'inclue les enfants là-dedans, et en même temps, il me semble aussi que c'est notre rôle d'éducateur.rice, qu'on soit parent ou professeur.e, de poser un cadre qui peut parfois sembler contraignant, mais qui prend soin des enfants. Je pense par exemple à l'éducation au goût : j'ai pu remarquer, à Pourgues, que si on laisse les enfants manger ce qu'ils/elles veulent, ils/elles ne réclament jamais des légumes et veulent toujours manger des pâtes ou des frites (ce que je comprends parfaitement, pourquoi s'embêter avec des légumes ?). Or, apprendre à bien s'alimenter, sainement, est pour moi une des bases de l'éducation (qu'on n'apprend pas dans le système scolaire traditionnel d'ailleurs, et c'est bien dommage!) et je ne suis pas prête à ce que mes propres enfants, si j'en ai un jour, ne mangent que des pâtes parce que je respecterais ainsi leur liberté. La question se pose aussi pour l'accès aux écrans : si on est dans une logique jusqu'au-boutiste de l’Éducation Démocratique, on peut laisser un.e enfant devant un écran toute la journée, si c'est son envie. Mais quand on connaît aujourd'hui les risques liés à la surconsommation d'écran, il me semble nécessaire de poser des restrictions. D'ailleurs, j'ai observé que des parents adeptes eux/elles-mêmes de l’Éducation démocratique avait défini un temps d'écran quotidien pour leur enfant ; et à l’École Créactive, si les écrans peuvent être utilisés pour regarder des documentaires ou s'informer, ils ne peuvent être utilisés que le temps du midi pour jouer, et les portables sont interdits dans l'une des salles (sauf pour écouter de la musique) afin de protéger les plus jeunes de la présence massive des écrans. Pour moi, le rôle des adultes est donc d'aider les enfants à apprendre à s'auto-réguler, et cela passe parfois nécessairement par des règles contraignantes, au moins au départ.
Moins de capacité d'attention et de rigueur dans l'apprentissage
Par ailleurs, j'ai pu observer que les enfants en Éducation Démocratique, notamment en IEF, avaient, comparativement aux élèves du même âge dans le système scolaire classique, une capacité de concentration et un sens de la rigueur moindre sur les apprentissages. Le système scolaire classique n'est pas parfait, mais il me semble qu'il a tout de même ce mérite d'apprendre aux enfants progressivement le sens du travail et de l'effort, et une forme de rigueur, qui sont des compétences nécessaires à développer. D'ailleurs, Freinet, autre grand pédagogue, qui était professeur des écoles (cela a forcément joué sur son point de vue) disait que « le travail est naturel à l'enfant » et que l'école est là pour lui apprendre à développer ses capacités d'auto-organisation via un « plan de travail personnel » (je ne vous en dis pas plus pour le moment, j'aurai l'occasion de vous en parler après mes observations dans des écoles et collèges Freinet). L’École Créactive pallie à mon sens cet écueil avec l'organisation dont je vous ai parlé plus haut, un emploi du temps adaptatif avec certains temps forts obligatoires pour les enfants, et les temps de tutorat, deux fois par semaine, qui permettent aux adultes de suivre de manière individualisée le travail de chaque élève. A Pourgues, certain.e.s parents ont aussi défini des temps d'apprentissage pour accompagner les enfants vers l'acquisition de ces compétences.

De plus, si on suit la logique de l’Éducation Démocratique, les enfants apprennent ce qu'ils/elles veulent quand ils/elles le veulent, lorsqu'ils/elles se sentent prêt.e.s et/ou en ressentent le besoin. Bien sûr, je trouve que ne pas imposer une pression sur l'enfant (du type « tu as 7 ans, tu dois savoir lire ») est essentiel pour que l'enfant apprenne dans les meilleures conditions. Cependant, quand je vois un.e enfant de 10 ans qui ne sait encore quasiment pas lire, et qui se retrouve exclu.e d'un jeu de société auquel joue ses ami.e.s à cause de cela, mon cœur se serre et me fait dire que l'idée d'avoir un socle commun de savoirs et compétences à des âges donnés n'est pas tout à fait une ineptie...
Cependant, a contrario, dans l'Education Démocratique, si les enfants ont moins le sens de la rigueur, ils/elles ont davantage le sens de l'autonomie, puisque déjà assez jeunes, ils/elles peuvent se préparer leur propre repas, et ils/elles participent aux tâches ménagères. A l’École Créactive, le temps de ménage est une tâche quotidienne obligatoire. Les élèves font donc plus attention à ne pas salir leur environnement, puisque c'est elleux qui seront chargés de le nettoyer ensuite. J'avoue que cela me fait pâlir d'envie, quand je vois l'énergie que je déploie chaque jour en cours pour que ma salle de classe reste propre et qu'il n'y ait pas de papier par terre...
« L'enfant n'est pas un vase que l'on remplit, mais un feu qu'on allume »
Enfin, j'ai choisi cette citation de Montaigne que j'adore pour illustrer le dernier écueil possible à mon sens de l’Éducation Démocratique. Ce n'est pas tant la première partie de cette citation qui m'intéresse ici, car vous l'aurez compris, l’Éducation Démocratique fait tout pour ne pas « remplir » l'enfant, contrairement à l'EN qui bien souvent, le « gave » de connaissances. D'ailleurs, on trouve souvent chez les partisan.e.s de l'éducation alternative l'idée que les savoirs sont un grand buffet, et que si on oblige un.e enfant à tout manger sur le buffet, il fait une indigestion !... C'est la deuxième partie que je trouve intéressante. En effet, on sait que l'enfant est naturellement curieux et a soif d'apprendre, et c'est le postulat sur lequel se base l’Éducation Démocratique pour affirmer qu'il n'est pas nécessaire d'être derrière l'enfant pour qu'il/elle apprenne de lui/elle-même et que celui/celle-ci peut apprendre sans adulte qui chercherait à lui enseigner quelque chose.

Cependant, si la curiosité n'est peut-être pas « un feu qu'on allume », il est en tout cas, à mon sens, un feu qui s'entretient ! Et je pense que notre rôle d'éducateur.rice est aussi, non pas simplement d'offrir un cadre sécurisant d'apprentissage, mais aussi d'être force de propositions pour continuer à alimenter ce feu. Bien sûr, toutes les propositions faites ne conviendront pas à tou.te.s les enfants, d'où l'importance qu'il/elle ait le choix d'essayer ou non la proposition, mais j'ai pu observer que le fait de laisser des enfants complètement libres de leur temps, sans leur proposer des activités qui les stimulent (et les activités ne sont pas forcément scolaires, elles peuvent être aussi variées que jouer à un jeu de société, faire du théâtre d'improvisation, une balade en forêt...) ou des temps dédiés risque d'éteindre leur feu... Sans compter que leur faire des propositions et les inviter à essayer, c'est aussi leur apprendre à ne pas rester dans leur zone de confort, à ne pas avoir peur de découvrir de nouvelles choses, à expérimenter, des compétences qui me semblent plus qu'essentielles dans notre société ! A Pourgues, les "vacances immersives" permettent aux enfants d'avoir accès à des activités variées grâce aux propositions qui peuvent être faites par les participant.e.s et bénévoles (pendant notre séjour, ils/elles ont donc pu faire théâtre d'impro, du yoga, être initié.e.s au survivalisme et créer un cours de hip-hop), mais c'est un environnement particulier qui ne dure pas toute l'année...
Le système scolaire traditionnel, aussi imparfait soit-il, a au moins cet avantage d'offrir aux enfants un panel de savoirs différents, et de leur faire découvrir des choses (si je ne parle que pour ma matière, des textes, des films et des artistes) qu'ils/elles ne verraient probablement pas d'elleux-mêmes, s'ils/elles pouvaient faire seulement ce qu'ils/elles veulent toute la journée. Si je reprends la métaphore du buffet des savoirs, les éducateur.rice.s, qu'ils/elles soient parents ou professeur.e.s, par leur expérience et leurs connaissances, peuvent proposer un buffet plus large, et plus varié, que si c'était seulement les enfants qui étaient chargé.e.s d'y apporter leur propres plats. C'est principalement selon moi le rôle de l'éducation : ouvrir les horizons ! A nous maintenant, dans l'EN, de trouver la manière qui permettent aux enfants de pouvoir goûter à ces différents plats librement, sans chercher à les gaver de force...
Conclusion : revivifions l'EN grâce aux pratiques innovantes !
Pour conclure, en fervente fonctionnaire peut-être, je trouve encore et toujours que l'école est une institution fondamentale pour les enfants, aussi bien en tant que lieu d'apprentissage que de socialisation. Cependant, le système scolaire traditionnel a besoin d'un bon coup de neuf, je le pensais déjà et j'en suis maintenant convaincue ! Nombres de choses que j'ai pu observer dans l’Éducation Démocratique me semblent être beaucoup plus respectueuses des enfants, aussi bien dans leur rythme d'apprentissage et biologique (à l’École Créactive, les enfants peuvent arriver entre 8h30 et 10h) que dans leur parole, par rapport à ce qui se pratique dans l'EN. Je crois que l'EN a beaucoup à gagner en adoptant certaines pratiques vivifiantes de cette éducation, notamment dans les processus démocratiques qui permettent aux élèves de participer concrètement à leurs apprentissages, et à la vie de l'école. Bien sûr, on n'est pas obligé.e d'aller aussi loin dans la liberté que ce type d’Éducation le prône. On peut choisir de trouver un entre-deux, comme j'avais pu l'observer à l’École Decroly il y a quelques années, où l'emploi du temps est divisé en trois : les temps d'apprentissage formel (les cours), les temps de projet (apprentissage en action), et les temps sur lesquels les plus grand.e.s vont passer du temps avec les plus jeunes (développement du lien et de l'empathie).
De plus, si ce type d'éducation / d 'école permet à certain.e.s jeunes qui ne se sentent pas à leur place dans le système scolaire traditionnel (jeunes avec des troubles divers, jeunes victimes de harcèlement...) de trouver leur place, il n'est pas pour autant adapté à tou.te.s les enfants. Un membre du staff de l'école dynamique, ancien professeur dans un collège à Marseille, m'avait confié que selon lui, l'école traditionnelle avec son cadre plus contraignant lui semblait plus adaptée pour certain.e.s enfants qui n'ont pas de cadre à la maison. Cette dimension du cadre socio-familial dans ce type d'éducation me semblerait vraiment intéressante à creuser.
Enfin, j'ai pu observer chez ces jeunes qui connaissent ce type d'éducation, certes pour certain.e.s un certain « retard » dans les apprentissages formels attendus à leur âge, mais en même temps, une grande spontanéité, beaucoup de joie de vivre et d'épanouissement, une capacité à s'émerveiller, à jouer plus longtemps (alors que c'est « la honte » à partir du collège !), et une grande confiance en eux. Je comprends très bien les parents qui ont choisi ce type d'éducation pour leurs enfants, faisant le choix de privilégier leur bonheur présent avant des apprentissages qui serviront « plus tard », dans le futur. Habitué.e.s depuis tout petit.e.s à être entendu.e.s et écouté.e.s, sans être pour autant des enfants-rois car ils/elles sont responsabilisé.e.s très tôt (j'ai pu assister à des cercles de justice entre des enfants âgé.e.s de 3 à 6 ans, et c'est vraiment bluffant!), ces enfants prennent leur place parce qu'on veut bien la leur donner, et cela, n'est-ce pas le plus beau cadeau qu'on puisse faire à un.e enfant ?
Pour aller plus loin :
Quelques sites intéressants :
https://www.eudec.fr/carte (une carte qui recense toutes les écoles démocratiques en france)
Bibliographie :
Pourquoi j'ai créé une école où les enfants font ce qu'ils veulent, Ramïn Farhangi (témoignage d'un des fondateurs de l’École Dynamique)
Qu'est-ce que l'âgisme ? Reconnaître et prévenir les discriminations liées à l'âge, Elfi Rebouleau
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