L'Aérium : vivre l'expérience écolieu en hiver
- Baptiste Fageolles
- 30 janv. 2022
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 avr. 2022
C'est à l'Aérium que nous avons vu arriver l'hiver, accompagné de son grand manteau blanc. Dans ce collectif au pied des Cévennes, installé dans un ancien sanatorium pour enfants, nous avons redécouvert avec joie les premières gelées matinales et vu les premiers flocons nuageux tomber du ciel. Un ravissement pour les grand.e.s enfants que nous sommes !

Quand on arrive à l'Aérium après avoir arpenté les derniers lacets des routes de montagne (sans se tromper de chemin car c'est un coup à rester coincé, ce qui a failli arriver à Baptiste), on aperçoit au loin cet îlot de bâtiments à flanc de montagne qui donne l'impression d'avoir découvert un monastère retiré du monde, une vision très cinématographique... Avec ce recul, on constate à la fois l'isolement du lieu et la quantité de bâtiments déjà existants et de terrain qui offre un champ de possibles immenses. Parmi les points positifs, cela permet à chacun.e d'avoir son habitat séparé et son intimité, cela est également un avantage pour le collectif pour développer une activité d'hébergement de tourisme ou lors de la venue de groupes pour des ateliers ou des stages. Un des challenges d'avoir autant de bâti c'est la charge importante en termes de rénovation et d'entretien que cela implique ; sans bonne gestion et priorisation, c'est le risque de s'épuiser dans les travaux.
L'expérience écolieu en hiver : entre ralentissement, travaux nécessaires et cocooning
Un écolieu en hiver, ce n'est clairement pas la même ambiance qu'en été. Fini la préparation joyeuse des bocaux de tomates déshydratées en se faisant griller au soleil et les grandes veillées autour du feu dehors, tout le monde est plutôt en mode cocooning chacun.e chez soi. La vie du collectif est assez ralentie, même si on continue à s'inviter pour des jeux de société, des goûters ou des repas. C'est un tout autre mode de vie, dans lequel on écoute davantage nos besoins de repos et d'intériorité. On a profité de ce ralentissement pour dormir un peu plus que d'habitude, faire des heures de lecture sous la couette, et tester de nouveaux jeux de société (l'Aérium possède une ludothèque impressionnante !).
Mais l'arrivée du froid hivernal ne nous a pas empêché.e.s de nous rendre utiles pour la communauté : lors de nos deux semaines là-bas, nous avons fait un chantier bois qui nous a glacé les doigts, déraciné et désherbé quelques mètres carrés, et planté plusieurs arbres sur le site. L'occasion d'en apprendre plus sur les techniques de plantation : le mélange compost-cendre pour renforcer la plantation, les plantes à choisir en fonction de l'orientation du soleil, du vent et du sol, le paillage en laine de moutons du voisin... Nous avons aussi participé aux « Jeudi chantier » hebdomadaires, où tou.te.s les habitant.e.s disponibles se réunissent pour s'occuper des tâches nécessaires proposées par chacun.e des personnes présent.e.s (ramassage des feuilles, réparation de ce qui est cassé, etc.) et partagent un repas collectif le midi.
La bise parfois glaciale venue des flancs de la montagne nous a fait encore plus aimer, si cela est possible, notre petite yourte avec vue panoramique sur la vallée cévenole, dans laquelle Baptiste a joué chaque soir au grand Maître du Feu (l'Histoire ne dit pas qu'il a enfumé toute la yourte le premier soir, et perdu dans la bataille un gant, retrouvé fondu contre le poêle...) et dont il était bien difficile de s'extirper le soir pour aller aux toilettes sèches à proximité dans le noir (L'Histoire ne dira pas non plus que Justine réclamait une escorte pour s'y rendre). On a aussi apprécié retrouver une intimité de couple, ce qui n'est pas toujours évident quand on part ainsi sur les routes. Le temps offert nous a permis de nous consacrer à une de nos activités devenues incontournables, les mots fléchés, que l'on a pratiqué sans relâche, jusqu'à les emmener en randonnée sur le pic balayé par les vents surplombant l'Aérium et offrant une vue panoramique incroyable sur la vallée.
Un soin particulier à la gouvernance et aux outils du collectif
Différents cercles pour une gouvernance fluide et efficace
L'Aérium apporte un soin particulier à sa gouvernance et en particulier aux outils dont les habitant.e.s se sont dotés. Ainsi, le collectif répartit sa gouvernance en différents cercles, dont l'organe central est le Cercle Aérium, l'organe en charge de la prise de décision.

Lors de notre passage, nous avons eu la chance de pouvoir assister au Cercle Aérium. Cette session était la première séance après la mise en place du nouveau codex (protocole) de gouvernance. Celui ci prévoit un tour d'inclusion / de météo intérieure, un temps d'annonces, un traitement prioritaire des urgences puis des propositions des habitant.e.s (l'ordre du jour ayant été préparé en amont pour gagner du temps) et enfin un temps de restitution. Face à une proposition, il est possible de réaliser un tour de ressentis si nécessaire, avant soit de la reporter si au moins une personne considère que la proposition n'est pas mûre, soit de réaliser un tour d'objections. S'il n'y a pas d'objection, la proposition est adoptée. C'est donc un modèle de décision par consentement (il faut que personne ne dise non, contrairement à la décision par consensus où tout le monde doit dire oui). Pour gagner en fluidité et efficacité, le collectif utilise aussi le système de la sollicitation d'avis, dont nous avons déjà parlé dans notre article sur Pourgues. Le Cercle Coeur, quant à lui, est un cercle dédié au partage de réflexions et d'émotions sur un thème proposé par un.e membre du collectif.
Malgré les différents rôles attribués durant ces réunions (gardien.ne de la relation, du « je », du temps, de la mémoire) pour fluidifier et la recherche d'efficacité dans le processus, nous avons pu constater la difficulté de concilier les rythmes et les besoins de chacun.e, entre celleux qui ont envie que « ça avance » et celleux qui ont besoin de temps mettre au clair leurs ressentis et leurs points de vue avant de les extérioriser. Un challenge auquel se confronte tout collectif !
Vers une gouvernance intégrative et une responsabilité individuelle

Nous avons d'ailleurs pu affiner notre compréhension des modes de prise de décision dans la gouvernance collective en assistant à l'atelier sur la gouvernance intégrative de Sacha, un ancien habitant du lieu redevenu nomade le temps d'établir son nouveau projet. Au cours de cet atelier passionnant, nous avons recensé les différentes modalités possibles de prise de décision (du vote majoritaire au vote à choix multiple, en passant par le hasard, la décision par consentement ou consensus, le choix en suivant un signe ou une tradition) avant de constater que chacun.e a des affinités différentes avec chaque type et que si l'on sort de la vision bien/mal, chaque type a ses avantages et ses inconvénients et est donc plus ou moins adapté à telle ou telle situation.

Nous avons également visité notre relation au formel / informel (quelle proportion de décisions sont prises de manière informelle ? Sommes-nous à l'aise avec ça ? Toutes les décisions ont-elles besoin d'être prises de manière formelle ? Quels sont les avantages / inconvénients des deux modalités ?), avant d'appréhender comment nous pouvons construire sur mesure un modèle de prise de décision efficient qui réponde aux besoin de chaque groupe (selon sa culture et sa situation) face aux différentes décisions qu'iels ont à prendre.

Nous avons également pu assister à un atelier d'« empuissancement » dont l'objectif est pour chacun.e de cheminer vers son auto-responsabilité individuellement et ensemble. L'idée est que chaque participant.e écrive sur un morceau de papier une « ralade » et une « régalade » formulée par « j'ai râlé quand.../je me suis régalé.e quand... ». On tire ensuite au sort une proposition, la personne explicite la situation, s'ensuit si nécessaire un tour de clarification. Puis elle formule une proposition, soit pour revivre une régalade, soit pour ne plus vivre ou vivre différemment une ralade. Si sa propre proposition ne lui convient pas, elle peut solliciter les idées des autres participant.e.s. Pour qu'une proposition soit acceptée, il faut qu'elle réponde à une envie, que la personne ait ou se sente les ressources pour pouvoir la mettre en place et enfin (le plus compliqué), que la personne soit pleinement satisfaite de la proposition : on cherche le grand OUI du cœur. La finalité de ces ateliers c'est de passer de la culture du devoir à la culture du désir en prenant notre pleine responsabilité dans ce que nous vivons, une sacré perspective qui donne envie !
Le forum Zegg, le cercle restauratif et le sauna
Une des spécificités de l'Aérium est la sensibilité toute particulière du groupe pour la pratique du forum Zegg (« un outil de facilitation dont le dispositif est aussi simple que puissant : un groupe de personnes assises en cercle dans lequel un participant peut entrer et se faire accompagner dans sa prise de parole, par le.a facilitat.eur.rice » - cf. site du forum). Nous avions eu l'occasion d'expérimenter cet outil à Pourgues car un des habitant était facilitateur de forum Zegg. L'Aérium accueille régulièrement des stages de forum. C'était le cas lors de notre venue, où une partie des habitant.e.s qui y participaient, étaient accaparé.e.s par cette activité intense émotionnellement et donc peu disponible.s.
Par ailleurs, plusieurs membres du collectif sont formés à l'outil du cercle restauratif, dont nous avons déjà parlé également dans notre article sur Pourgues.
Et comme la panoplie d'outils ne serait pas complète sans quelque chose pour prendre également soin du corps, les habitant.e.s ont auto-construit un sauna qui est devenu une activité incontournable de l'Aérium, là-bas on va au sauna comme certain.e.s vont au bar le vendredi soir, une autre façon de prendre soin de son corps, moins houblonnée. ;)
Profiter du dynamisme local

L'Aérium est installé à une quinzaine de kilomètres de la ville du Vigan, dont une des particularités est d'héberger la ressourcerie du Pont, un lieu de collecte d'objets, de réparation et de revalorisation. L'objectif est multiple, créer de l'emploi, sensibiliser à l'écologie, proposer des objets à faible coût, favoriser le réemploi, mettre en réseau le territoire... On y a fait de chouettes emplettes de Noël !
Nous avons également profité, sous la pluie certes, du grand marché du Vigan dont nous avons dévoré légumes bio, spécialités libanaises et douceurs locales.

Le Covid qui nous avait jusqu'alors épargnés nous a retrouvé.e.s dans les montagnes, nous isolant un peu du reste du collectif. C'est donc avec un jour d'avance sur la date initialement prévue que nous avons repris la route, avec la sensation d'être un peu passé.e.s à côté de la pleine expérience de l'Aérium, les moments de partage ayant été relativement rares. Nous avons néanmoins apprécié ce ralentissement propice à une entrée toute en douceur dans le froid de l'hiver.
Du sweet et du croc sur vous !
Baptiste et Justine
Pour plus d'informations sur :
L'Aérium : http://aerium-centre.org/
Le forum Zegg : https://forumzegg.fr/
Les ateliers d'empuissancement : https://www.changer-de-paradigme.fr/
La gouvernance intégrative : https://gouvernanceintegrative.com/
La ressourcerie du Pont : https://cooperative-oasis.org/oasis/ressourcerie-du-pont/
En bonus : Le lavage de dents par grand froid et l'émerveillement béat devant la plateforme de méditation gelée
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