L'Arche Saint Antoine : faire communauté et incarner ses valeurs
- Baptiste Fageolles
- 18 mars 2022
- 11 min de lecture

Nous avons pris le parti dans ce voyage d'aller expérimenter des modes de vie différents des nôtres, de ne pas se fermer des portes avant de les avoir ouvertes, d'oser aller voir aussi ce qui pourrait a priori ne pas nous attirer, de sortir de la projection pour vivre l'expérimentation. Tester et voir ce que ça nous fait, ce qu'on en retire, sentir a posteriori ce qu'on aime ou pas. C'est ainsi qu'on s'est retrouvé.e à l'Arche Saint-Antoine, un lieu communautaire spirituel.
Justine était a priori assez attirée par cette spiritualité ancrée dans la vie du quotidien, des moments dédiés à la méditation et à la prière, une aubaine pour elle qui a tant besoin de temps de silence et de reconnexion à elle-même. Baptiste, lui, n'était pas franchement emballé de prime abord à l'idée d'aller partager une vie « communautaire », bien plus impliquante qu'une vie « collective », et par la dimension spirituelle En effet, l'ado en lui passé par un système scolaire catholique a eu tendance à associer spiritualité avec obligation, sacré avec sérieuse solennité, prière avec temps long en silence, en bref un truc un peu chiant... Et pourtant, après de nombreux échos positifs sur l'Arche, on s'est dit pourquoi pas ? Après tout, le « stage court » durait deux semaines, ce n'était pas trop impliquant, et puis quoi de mieux que de voir par soi-même ? Alors on a tenté l’expérience !

C'est au cœur de Saint Antoine l'Abbaye, un des plus beaux villages de France, que se niche la communauté de l'Arche Saint Antoine. Fondée en 1948 par Lanza Del Vasto, adepte de la non-violence, sur le modèle des ashrams suite à sa rencontre avec Ghandi, la communauté de l'Arche est un mouvement composé de communautés spirituelles d'obédience chrétienne dont la communauté de l'Arche Saint Antoine fait partie.
La culture du service
Un des piliers de l'Arche est « le don de soi ». Vivre à « la maison » (comme l'Arche Saint-Antoine est appelée par ses habitant.e.s) demande donc une grande implication : c'est probablement le lieu où nous avons le plus travaillé depuis notre départ. Les journées sont très rythmées entre les temps de communion spirituelle et le travail pour la communauté, même si à l'Arche, on ne parle pas de « travail » à proprement parler mais de « service » à la communauté. Pas le temps de s'ennuyer, encore moins de paresser ! Le rythme est assez intense. D'ailleurs, à l'Arche, tou.te.s les enfants doivent être scolarisé.e.s à l'école du village pour permettre aux parents d'être totalement disponible pour effectuer les temps de service. Un week-end sur trois est également travaillé, notamment pour l'accueil des stages.

Deux fois dans la journée, les besoins de la communauté (entretien des locaux, cuisine, jardin, garde des enfants...) sont répartis entre les habitant.e.s, les postulant.e.s et les stagiaires (je reviendrai sur la différence ensuite) lors du temps de « répartition du travail ». Ainsi, comme au Campus de la Transition, nos journées ont été rythmées par le ramassage des poireaux, la préparation des sols du potager pour le printemps, le rangement et ménage des espaces, la taille des arbres du lieu, etc.
Heureusement, dans ces journées très chargées, la pratique des « rappels » offre de vrais moments de respiration : ces coups de cloches, de bol ou de clochettes tibétain.e.s sonné.e.s à heure fixe invitent à un moment d'arrêt en silence. On lâche la carotte qu'on est en train de peler, le carreau qu'on lave, la bûche qu 'on fend et on prend un temps précieux pour se reconnecter à soi pendant une minute, revenir en son centre, un instant suspendu pour retrouver son axe. Un moment un peu magique, où les affairements de la ruche s'arrêtent tout à coup pour laisser place au silence le plus complet. Une petite pépite avec laquelle nous repartons !
Une culture du renouveau
Contrairement à l'image qu'on a souvent des communautés, notamment religieuses, l'Arche n'est pas sclérosée, absolument figée dans ses traditions, et cherche constamment à évoluer, en particulier sur le modèle juste de gouvernance. Au départ, toutes les prises de décision de « la maison » se faisait à l'unanimité. Mais le nombre d'habitant.e.s grandissant, l'Arche a repensé son modèle de gouvernance au bout d'une dizaine d'année en mettant en place des commissions spécifiques (vie communautaire, alimentation, travaux, accueil formation...). Toutes ces commissions ont un « premier lien », c'est-à-dire une personne référente, qui sont des personnes élues pendant trois ans pour assumer cette responsabilité et qui se réunissent tous les 15 jours pour « le coeur », une réunion de coordination. Chaque commission choisit son propre modèle de gouvernance. Le système est donc hiérarchisé mais fluide. La prise de décision à l'unanimité ne reste que pour l'élection du responsable de la communauté (tous les 3 ans) et pour l'accueil d'un.e nouvel.elle engagé.e. Une AG a lieu aussi tous les ans pour voter les budgets et les grandes orientations de la communauté. Une bonne mise en pratique de la gouvernance intégrative !
La culture du commun et de la communion spirituelle

Dans de nombreux écolieux que nous avons pu visiter, un des principaux challenges est d'arriver à rassembler tou.te.s les membres, pour une réunion, un temps commun, etc. Réunir 10 personnes dans une même salle à une heure précise peut être vu comme un tour de force, et j'exagère à peine. A l'Arche, se réunir fait partie de la vie de tous les jours, c'est un des socles de la vie communautaire. Chaque matin, après le premier temps de méditation matinal de 8h05 à 8h30, tout le monde se retrouve dans une grande salle pour débuter la journée en « se donnant la paix », c'est-à-dire en adressant une salutation en silence avec les mains jointes en prière. Ce court rituel de 5 minutes environ marque le début de la journée communautaire. Tout le monde (ou presque) file ensuite aux « pluches » pour une heure, un temps collectif d'épluchage, lavage et découpe des légumes qui serviront à la confection des repas du jour. Cet autre temps collectif invite cette fois à l'échange et à la convivialité autour de cette activité partagée. Autant vous dire qu'à aussi nombreux.ses, l'épluchage ça dépote !! Cela permet de confectionner parfois jusqu'à une centaine de repas ou plus avec uniquement deux personnes en cuisine.
D'autres temps de communion spirituelle sont proposés dans la journée : l'office, à la sortie des pluches à 9h40, est une célébration alliant chants et lecture de textes bibliques ou non ; un temps de méditation silencieuse est également proposés après le déjeuner ; et en fin de journée, avant le repas du soir, la communauté se réunit pour une prière de 15 minutes qui est différente chaque jour de la semaine, retraçant les directions de l'engagement des membres de l'Arche et en communion avec « les frères et soeurs » des autres spiritualités (religions juive, musulmane, bouddhisme et « chercheur.euse.s de verité » sont évoqué.e.s). Cette prière est généralement clôturée par un moment d'annonces variées, de présentation des nouveaux.elles arrivant.e.s et/ou d’au-revoir aux personnes sur le départ, puis enfin d'un chant collectif. Le mardi soir, un cours de danse est aussi proposé afin d'apprendre / répéter les danses collectives du lieu, qui sont dansées tous les samedis soirs lors d'un moment festif. A noter que ces différents moments ne sont jamais obligatoires mais encouragés.

De plus, toutes les semaines en alternance, un « temps de partage » (ce qu'on pourrait envisager comme un temps d'écoute active*) ou un temps de chant collectif (qui permet notamment l'apprentissage des chants sacrés chantés pendant les offices) sont intégrés dans le temps de service du jour, car le temps passé avec la communauté est considéré comme du temps de service à part entière. Les actions non violentes (dont je reparlerai ensuite) font également partie du temps de service.
D'un point de vue économique, la culture du commun est aussi bien présente : tous les revenus (y compris retraites, RSA...) des habitant.e.s de l'Arche sont mis en commun (c'est ce qui est appelé le « budget familial ») et redistribués ensuite équitablement en fonction des besoins de chacun.e.
*écoute active : temps donné dans lequel une personne s'exprime sur comment elle se sent en ce moment, ce qui est vivant en elle. Les autres personnes présentes l'écoutent mais ne lui répondent pas. Elles apportent seulement leur soutien par une écoute active et empathique. A la fin d'un temps imparti, une autre personne s'exprime.
La culture de l'ouverture, du partage et de la transformation intérieure

Même si l'Arche est d'obédience chrétienne, on a aimé l'ouverture qu'elle propose dans l'accueil (pas besoin d'être chrétien.ne soi-même pour y venir), dans les prières évoquant les autres spiritualités, et aussi dans l'attention portée à l'herméneutique (= l'interprétation des textes). En effet, toutes les deux semaines, un temps de « partage biblique » est proposé, avec la lecture d'un texte de l’Évangile qui s'ensuit d'un partage autour de ce que le texte évoque, de ce qu'il signifie pour chacun.e, des multiples interprétations qu'on peut en faire, voire des résistances qu'il suscite en nous. Un moment vraiment très enrichissant !
De plus, l'Arche Saint-Antoine est une des Arches les plus ouverte sur le monde, par les diverses modalités d'accueil du lieu d'abord, et par l'accueil de stages et de formations ensuite. Fondée au départ par un groupe de 14 personnes, « la maison » est désormais une vraie ruche, un lieu cosmopolite où se croisent les habitant.e.s (certain.e.s membres fondateur.rice.s et celleux arrivé.e.s ensuite) aussi appelé.e.s engagé.e.s ; les postulant.e.s (ou futur.e.s habitant.e.s) qui doivent vivre trois ans à l'Arche avant de pouvoir en faire pleinement partie ; les moyens et longs stages qui viennent pour quelques mois ou un an ; les courts-stages (comme nous) qui viennent pour quelques semaines seulement ; et les stagiaires accueilli.e.s pour des stages. La communauté est donc composée d'une multitude de personnes séjournant à plus ou moins long terme, créant un brassage riche, divers et étonnant.
Les stages accueillis, en résonance avec les valeurs de l'Arche (la bienveillance, la solidarité, la sobriété, le bien-être...), permettent aussi des échanges fructueux entre tous les usager.ère.s du lieu. Ainsi, lors de notre court stage, un stage de kundalini yoga a permis à celleux qui le souhaitaient de partager des moments de pratique le matin et le soir. La Fève, association gérante des stages créée par l'Arche en 2010, porte en son sein tout le programme « politique » de l'Arche : vivre ensemble des transitions et des transformations intérieures dans une pédagogie de l'expérimentation.

La culture de la non-violence pour transformer le monde (et le récit de notre première action d'occupation « ratée »)
Mais la transformation intérieure ne va pas sans la transformation extérieure. Ainsi, comme évoqué en introduction, la non-violence fait partie de l'ADN des communautés de l'Arche, et qui dit non-violence dit action non-violente. Pour rappel, les actions non-violentes sont toutes les manières de résister à ce qui nous semble injuste tout en respectant l'autre, même opposé à nous, dans son humanité. « Par la non violence on ne cherche pas à nier le conflit, mais à le transformer en alternative constructive pour chacun » selon l'Arche. Cela peut passer par des manifestations, des marches, des grèves de la faim, du boycott, de l'occupation de locaux, des actions de désobéissance civiles. L'Arche s'investit en soutien d'action non violentes pour œuvrer pour plus de justice et de paix dans le monde, notamment en s'opposant aux OGM, au nucléaire et à l'armement.
Pendant notre séjour, l'opportunité de participer à une action non violente s'est présentée. De prime abord , l'opacité sur l'action pour éviter des fuites compromettantes nous rebutait un peu : nous avions envie de nous mobiliser, mais aussi de savoir dans quoi nous nous engagions pour ne pas nous retrouver en porte à faux par rapport à nos convictions. Après plus d'informations sur l'idée globale : occuper les locaux d'une start-up de l'agritech pour s'opposer au plan de relance France 2030 dévoilé par notre cher président quelques mois plus tôt avec pour mot d'ordre « Numérique, génétique, robotique », nous nous sommes lancé.e.s, mus par un désir d'agir. Nous avons pris le risque de nous jeter à l'eau et de vivre l'expérience, quitte à rebrousser chemin si nous n'étions pas convaincu.e.s par le briefing.

Nous partons donc, à la fraîche, dans une grande voiture, pique-nique sous le bras, vers un premier point de rendez-vous pour un briefing. Arrivés sur place, dans un champ derrière un hangar agricole, au milieu des bottes de foin, la présentation de l'action commence. La cible : Carbon bee, une start-up française spécialiste de la pulvérisation de pesticides en « frappes chirurgicales » par un alliage de caméra hyperspectrale et d'intelligence artificielle. Diverses associations regroupées sous la bannière de la confédération paysanne veulent dénoncer cette fuite en avant technologique, à l'opposé des besoins réels des agriculteurs.rices de notre pays. L'objectif de l'action : occuper les locaux pacifiquement, attirer l'attention médiatique, proposer aux salariés de l'entreprise un moment d'échange convivial et leur expliquer la raison de notre présence. Le protocole d'action est dévoilé, des groupes formés, les tâches réparties, le joyeux convoi se met en route.
A l'approche du lieu, je sens l'adrénaline monter, mon pouls s'emballe, ça y est, c'est parti ! Nous pénétrons dans les bâtiments, tout se passe sans encombres jusqu'à ce que subitement un flottement s'installe. Le panneau à l'entrée affiche toujours « Carbon Bee » mais l'entreprise n'occupe plus les locaux depuis maintenant 6 mois, nous confient les travailleurs.ses dans les bureaux. La surprise prend les organisateurs.rices à revers, est-ce du bluff ? Une stratégie ? La réalité ? Etaient-iels au courant ? L'information est confirmée avec une certitude toute relative. C'est avec une désagréable sensation d'être un peu ridicule que notre groupe quitte les locaux et regagne les voitures dans la précipitation. Retour case départ au milieu des bottes de foin. L'équipe organisatrice se confond en excuses et tente de rebondir, cherche des alternatives à proposer pour utiliser à bon escient la mobilisation présente pour ne pas laisser repartir bredouille des gens qui ont pris sur leur temps et fait parfois beaucoup de route pour venir.

Nouvelle cible, nouvel objectif. Occuper les locaux de la DDT, la Direction Départementale des Territoires, organisme public interlocuteur direct des agriculteurs.rices pour obtenir un rendez-vous avec la préfète qui n'a pas répondu aux précédentes demandes. Pour nous, l'aventure s'arrête là. C'est une chose d'occuper une start-up privée, c'en est une autre d'occuper un bâtiment public en proximité directe de la préfecture, sans parler qu'en nous une forme de confiance s'est brisée et que nous ne nous sentons plus très sécurisé.e.s à l'idée de cette action plan B au vu du déroulement du plan A. Nous laissons donc une partie de l'équipe sur place et rentrons. Quelques heures plus tard, nous retrouvons nos acolytes partis pour la DDT. Tout s'est déroulé sans encombres et le rendez-vous a été obtenu.
Malgré cette drôle de mésaventure, on a apprécié notre passage à l'Arche, ne serait-ce que parce qu'il nous a permis de retrouver nos ami.e.s Lauriane et Thibault croisé.e.s à Pourgues et d'avoir du temps avec certain.e.s habitant.e.s du campus de la transition également présent.e.s en même temps que nous , mais aussi pour les valeurs très fortes portées par cette communauté : la non-violence, l'accueil de l'autre, la spiritualité, la joie, le travail sur soi, le sens du service et du partage. Même si on a trouvé que le temps de travail y était un peu trop conséquent, que la dimension spirituelle pouvait donner parfois quelque chose d'un peu « austère », et que la vie en communauté est peut-être un peu trop pour nous, cela nous a permis de réfléchir sur les valeurs fortes qu'on a envie de voir s'incarner dans le monde, et sur les différentes manières d'y parvenir. La leçon de l'Arche est ici très belle : incarnons nous-mêmes ce que nous voulons voir advenir au monde !
Du sweet et du croc sur vous !
Justine et Baptiste
Pour en savoir plus :
- sur l'Arche Saint-Antoine : https://www.arche-sta.com/communaute/
- sur la position non-violente de la communauté de l'Arche : http://www.arche-nonviolence.eu/
sur les super formations proposées par La Fève : https://formationfeve.wordpress.com/toutes-les-formations-2022/
et en bonus :
un podcast sur la communauté de l'Arche : https://www.franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre/tous-au-larzac-la-communaute-de-larche
deux lectures intéressantes sur ces questions : > Techniques de la non-violence, Lanza Del Vasto, pour le récit de quelques actions concrètes menées par l'Arche ; > Conversations avec Dieu, Neale Donald Walsh, pour un autre regard sur la spiritualité et les religions
un chouette lieu à voir dans le coin, le palais idéal du facteur Cheval : https://www.facteurcheval.com/
merci pour les conseils de lecture (dans ce post ou dans les autres!)