Ecolectif, la pluralité des individualités au service du collectif
- Justine Fleur
- 19 août 2021
- 8 min de lecture
Nous avons débarqué à Ecolectif vendredi soir dernier, avec nos tentes, et nos petites mascottes du périple : Sweet et Croc (avec lesquelles vous faites connaissances ici), pour un week-end de partage.

Lors de ces week-ends de partage, les membres du collectif accueillent sur leur lieu de vie toute personne curieuse et/ou en recherche de transition, pour un week-end de découverte de leur mode de vie et de leur modèle de gouvernance.
Tout de suite, nous sommes rentré.e.s dans le vif du sujet puisque, après avoir posé nos tentes, nous avons pu assister au cercle décisionnel des membres du collectif. Un cercle décisionnel, c'est quoi ?
Pour comprendre le principe, il faut faire un petit tour du côté de la sociocratie. C'est un modèle de gouvernance participatif qui inclut tou.te.s les membres d'une organisation dans les processus de décision (y compris les enfants ici, on y reviendra) et dont tou.te.s les membres ont le même pouvoir décisionnel (autrement dit, il n'y a pas de « chef.fe »). Toutes les décisions sont donc prises collectivement, à partir de propositions apportées par les membres, et s'il y a eu « zéro objection » à celles-ci. Dans le cas contraire, chacun.e expose son point de vue, jusqu'à arriver au consensus, au report, à l'adoption temporaire ou à l'abandon de la proposition.
A Ecolectif, le cercle décisionnel a lieu tous les vendredis soirs, avec une liste de points à voir progressivement, écrits sur un tableau. Vacances d'été obligent, nous avons assisté à un cercle très restreint, mais qui nous donnait déjà le « la » du week-end : ici, la souveraineté individuelle rime avec confiance dans l'intelligence collective (mais là, on vous spoile un peu les valeurs du lieu, on y reviendra aussi ;) ).
Au cercle décisionnel qui est l'organe structurant du collectif s'ajoutent d'autres cercles : le « cercle de partage », dans lequel les membres peuvent s'exprimer par rapport à un thème donné, ou encore le « cercle arc-en-ciel », dans lequel les membres se réunissent sans thème, simplement pour partager leurs ressentis du moment, ou leurs nouvelles passions ; et des activités diverses proposées par les membres.
Le week-end a vraiment démarré le lendemain avec l'arrivée de tou.te.s les participant.e.s, et la construction collective d'un programme de formations et d'ateliers sur les deux jours. Au menu : histoire de la création du lieu, statut juridique et financier, principes fondamentaux, mais aussi visite des différents espaces, et activités diverses proposées par les membres (maraîchage, yoga, coupe à la faux, ou encore le très glamour... fonctionnement et entretien des toilettes sèches).

Pour vous faire un résumé de tout ce qu'on a appris, Ecolectif est un collectif de personnes réunies en SCI (société civile immobilière) qui possède 46 ha, ce qui veut dire qu'aucun membre ne possède une part du terrain, c'est l'association créée par Ecolectif qui en est propriétaire (ce qui permet de faciliter l'entrée et la sortie de nouveaux.elles arrivant.e.s). Le projet s'est créé en 2009, et le lieu (près de Gensac-de-Boulogne, en Occitanie) a été acheté en 2012. Sur le lieu vivent aujourd'hui 20 adultes et 18 enfants, qui cherchent à créer une nouvelle façon d'habiter le monde et de vivre ensemble, en respectant des principes fondamentaux :
→ l’honnêteté et la bienveillance ;
→ la souveraineté individuelle (chacun.e est responsable de soi, de ses besoins, de ses choix) et la confiance en l'intelligence collective (l'intérêt commun prime) ;
→ la sobriété et l'abondance ;
→ une nouvelle vision de l'Humain fondée sur un retour aux sources (inspiration des peuples primitifs notamment) sans pour autant renier les apports de la modernité (sur les questions de genre par exemple).
Alors oui, ces principes peuvent paraître paradoxaux, voire antithétiques, mais c'est la volonté d'Ecolectif : chercher à réconcilier ce qui peut sembler contraire, ne pas être dans une vision binaire et fermée du monde et du l'Humain, aller vers du complexe, de la nuance, ou même du doute. Une recherche que les membres mettent en œuvre grâce à des visions du monde et des outils issu.e.s de la CNV, de la Permaculture, et de la Sociocratie (entre autres).
Déjà, sur le papier, tout ça fait rêver ! Mais en vrai, nous direz-vous ?
Et bien, en vrai, on a beaucoup aimé ! Et ce pour plusieurs raisons, qu'on vous détaille ci-dessous. On aime beaucoup :
l'HONNETETE de ce collectif : tout au long du week-end, Ecolectif nous a montré ses richesses (l'abondance du lieu, le partage des espaces et des activités, les échanges constants entre les membres, le soutien à la parentalité, la recherche commune d'un meilleur vivre ensemble...) sans cacher pour autant ses « faiblesses » (difficultés pour les nouveaux.elles arrivant.e.s à se loger, le terrain étant en attente de PLU – Plan Local d'Urbanisme) et les difficultés auxquelles le collectif peut parfois être confronté (départ de certain.e.s membres, différends relationnels, investissement inégal des membres – sachant que rien là-bas n'est jamais obligatoire) ;
la DIVERSITE des membres et des activités sur le lieu : du maraîchage à l'élevage d'un troupeau d'alpagas, en passant par le yoga, la menuiserie, l'ostéopathie, la musique, la boulangerie, la réflexologie, ou encore les ateliers tricot... chacun.e apporte sa couleur, sa passion, ses compétences, ses idées, au service d'un collectif vivant et pluriel (et pour celleux qui se disent qu'il faut être un peu illuminé.e pour vivre dans ce lieu, il y aussi un enseignant-chercheur à l'INSA et une professeure de collège là-bas, comme quoi ;) ) ;
l'attention portée à la SOUVERAINETE et à la RESPONSABILITE des membres : on vous l'a dit plus haut, dans ce collectif, rien n'est obligatoire. Pas de participation obligatoire au ménage, aux activités, ou même au cercle décisionnel. Chacun.e est libre de faire ce qui lui plaît, dans le respect de l'intérêt du collectif. Chacun.e est donc libre d'aménager son emploi du temps comme il l'entend, de venir ou non partager les espaces communs, de participer aux « chantiers collectifs » une fois par mois pour les besoins du lieu... Le tout est de trouver l'équilibre entre les intérêts du collectif et les intérêts individuels : par exemple, certain.e.s membres ont des potagers privés, d'autres travaillent au maraîchage collectif et vendent ensuite les fruits et légumes au collectif ou aux voisin.e.s, d'autres font les deux.

Il y a donc aussi, de fait, une attention portée à l'EQUILIBRE ENTRE INDIVIDUALITE ET COLLECTIF : ce n'est pas parce qu'ils/elles vivent en collectif que les membres d'Ecolectif sont toujours fourré.e.s ensemble, au contraire ! Des espaces communs (grande grange, cuisines, bibliothèque, bureaux) permettent de se retrouver, ou sont partagés (salles de bain, toilettes sèches, potagers), ce qui n'empêche pas chacun.e d'avoir, dans la mesure du possible, son propre habitat (majoritairement des yourtes, et quelques caravanes) pour pouvoir avoir de l'intimité et un isolement si nécessaire. Ça, ça nous a beaucoup parlé !
la SOBRIETE JOYEUSE : Ecolectif, comme son nom l'indique, c'est aussi un lieu que les membres cherchent à habiter autrement, en étant dans un rapport plus sain, simple et sobre aux ressources. Cela se manifeste par le fait que certaines habitations légères ne sont pas reliées à l'eau courante ; aller chercher son eau à la maison commune et la porter devient alors un moyen d'être plus conscient.e de sa propre consommation. Une grande majorité des membres utilise l'énergie solaire pour produire de l'énergie (panneaux, four et douche solaires...). Le collectif cherche aussi à réduire sa dépendance alimentaire en produisant une partie de son alimentation. Sur le lieu, on trouve donc des serres avec une grande variété de produits (tomates, concombres, courgettes, oignons, ail, échalotes, aubergines, piments mais aussi quelques légumes un peu plus improbables comme la poire de terre ou yacon, la chayotte et bien d'autres !), mais aussi des vergers, des poulaillers... Les produits sont récoltés ensemble (pour les vergers) ou par quelques-un.e.s (responsables du potagers collectif) et sont soit consommés tels quels ou transformés (confitures, pickles, cuir de fruit,...), soit vendus entre les membres à l’Épicerie du lieu ou à l'extérieur. La récolte et la transformation donnent lieu à des moments de partage entre les membres qui s'échangent recettes et savoir-faires. Le collectif cherche donc à tendre vers une forme d'autonomie et d'autosuffisance alimentaire sans pour autant imposer un type de régime alimentaire particulier, ni se priver des produits qui lui manque (achats groupés auprès de producteurs locaux répondant à son éthique).
Enfin, le STATUT DES ENFANTS : à Ecolectif, il y a de nombreuses familles, avec des enfants âgés de 1 à 17 ans, la plupart en IEF (instruction en famille). Quand on arrive, c'est d'ailleurs un peu une cacophonie joyeuse : les enfants courent partout librement, nus pieds, dans le jardin, la grange collective, sur les routes attenantes. De quoi surprendre quand on n'a pas l'habitude ! Ils/elles sont présent.e.s partout, y compris lors du cercle décisionnel, auquel ils/elles peuvent participer sans restriction d'âge comme membre à part entière (même si dans les faits, peu y participent, occupé.e.s à jouer, mais un des enfants était présent au cercle décisionnel). Pas toujours facile de se concentrer quand ils/elles jouent à chat ou font une bataille de coussins juste à côté. Et pourtant, on s'habitue vite aux courses-poursuites, aux fous-rires et aux crises de larmes : à Ecolectif, les enfants vivent au côté des adultes, car ce sont des membres à part entière du collectif. Ils/elles ont le droit d'utiliser les espaces communs de la même manière que les adultes, et tant pis si leur « ordre » (souvent fait de cabanes et de canapés renversés) nous semble bien souvent du « désordre » (alors qu'il ne correspond simplement pas au nôtre). Ils/elles peuvent apporter des propositions au cercle décisionnel. Bref, ils/elles sont considéré.e.s comme des personnes (et pas seulement des enfants), accueilli.e.s dans leurs envies et leurs émotions. Et on leur fait confiance ! Même si certain.e.s ont des temps formalisés d'apprentissage avec leurs parents, la plupart sont en apprentissage libre, c'est-à-dire que c'est principalement par le jeu et au contact des autres enfants et adultes qu'ils apprennent des savoirs fondamentaux et le vivre-ensemble. Ils/elles sont donc véritablement « libres pour apprendre », à la manière dont l'entend Peter Gray. Cela n'empêche pas les adultes d'être présent.e.s pour elleux, pour les accompagner dans leurs recherches, leurs passions, ou leurs conflits.

Bon, on s'arrête là car on pourrait encore en écrire des tonnes, mais ce week-end nous a aussi permis de continuer à nous questionner sur le rapport au travail (à Ecolectif, la plupart des membres travaillent « moins », ou « mieux », pourrait-on dire, mettant le reste de leur temps dégagé au service de leurs passions, de l'humain – passer du temps avec les enfants-, ou du collectif) ; le rapport à l'argent (il y a une grande économie circulaire de l'argent dans le collectif, et si certaines choses produites ou créées par les membres sont vendues à prix fixe, d'autre, comme notre hébergement sur le temps d'un week-end, sont en prix libre et conscient) ; la capacité à être en autonomie sans vivre en autarcie (le lieu s'ouvre pour des week-ends de partage, des fêtes, des ateliers, des stages) ; ou encore la question de la transition d'un mode de vie « normé » à un mode de vie plus « marginal » (nous avons eu le témoignage des MPI – membres en parcours d'inclusion- qui nous ont livré leurs doutes, leurs difficultés, mais aussi leur enthousiasme à rejoindre le collectif).
Voilà pour ce premier écolieu, on a hâte de découvrir les prochains pour voir d'autres modèles. En attendant, n'hésitez pas à nous poser des questions en commentaire si vous voulez en savoir plus !
Du sweet et du croc sur vous !
Justine et Baptiste

Teaser : La semaine prochaine rendez-vous à l'écovillage de Sainte Camelle...
2) Majoritairement, le lieu est composé de familles, avec des enfants allant de 1 à 17 ans, mais il y a aussi des personnes plus âgées, (dont une retraitée) et des . Le lieu aimerait être le plus intergénérationnel possible mais de fait attire beaucoup de familles. La tranche d'âge la moins représentée est la tranche des vingtenaires.
Super intéressant à lire, ça doit pas être facile de s'accorder sur le côté travail perso/travail pour la collectivité. Surtout s'il y a de la vente entre membres. Merci du partage 😀. Des
Merci pour ce partage très instructif, agréable à lire! Cela donne envie.... de lire la suite de vos aventures.
Merci pour cette explication détaillée du mode de fonctionnement de cet écolieu. Puisque vous le proposez, voici quelques questions parmi les nombreuses que je me pose en vous lisant. Est ce que chacun a son activité pro au sein de l'écolieu ou bien certains sont ils là temporairement et ont une activité pro ailleurs, ne vivant que partiellement dans ce lieu? Est ce que toutes les générations sont représentées ? Famille, sans famille? Quels sont les "critères " de choix pour accepter de nouveaux membres ? Merci encore pour ce partage. Biz à vous 🌞